Sayd Bahodine Majrouh
Apparence
Sayd Bahodine Majrouh (né le 12 février 1928 à Kaboul, Afghanistan, et mort le 11 février 1988 à Peshawar, Pakistan) était un écrivain, poète, philosophe, folkloriste, politicien et militant afghan.
Le Suicide et le Chant
[modifier]Cependant, la grande originalité de cette poésie populaire, c'est la présence active de la femme. Si, comme partout, celle-ci est support d'inspiration des refrains masculins, elle s'impose surtout en tant que créatrice, en tant qu'auteur et sujet de nombreux chants. Ainsi, un genre exige-t-il toujours sa participation : le Landay, qui signifie littéralement « le bref ». Il s'agit en effet d'un poème très court, de deux vers libres en neuf et treize syllabes, sans rimes obligatoires mais avec de solides scansions internes. Vocalisé différemment selon les régions, il ponctue souvent les discussions à la manière d'une citation, d'un dicton qui étaye un sentiment ou une idée.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 14
Aussi, tous les Landays présentés dans cette étude proviendront-ils du florilège féminin, l'authenticité de leurs sonorités se révélant incomparable. Car c'est un visage fascinant qui émerge de ces textes où la femme chante et parle d'elle-même, de l'homme et du monde qui l'entoure ; un visage fier, impitoyable et révolté.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 16
Elle accomplit son travail comme une horloge. Elle accepte et subit le système de valeurs qui fait d'elle un objet parmi d'autres. Pourtant, si l'on y regarde d'un peu plus près, il s'avère qu'au secret d'elle-même, la femme pashtoune s'indigne, conteste, entretient sa révolte. De cette protestation enfouie, jour après jour durcie, elle ne livre finalement que deux témoignages : son suicide et son chant.
Du suicide, on sait que le code d'honneur tribal le considère comme une lâcheté et que l'Islam l'interdit. Jamais un homme pashtoun ne s'y résout. Aussi, en se supprimant de cette façon honnie, la femme proclame-t-elle tragiquement sa haine de la loi communautaire. [...]
Si par son suicide, la femme pashtoune impose un acte socialement irrécupérable, elle développe par son chant un défi de nature identique qui peut, lui aussi et à sa manière, se révéler fatal. Car inlassablement ses mélodies exaltent trois thèmes au goût de sang : l'amour, l'honneur, la mort.
Du suicide, on sait que le code d'honneur tribal le considère comme une lâcheté et que l'Islam l'interdit. Jamais un homme pashtoun ne s'y résout. Aussi, en se supprimant de cette façon honnie, la femme proclame-t-elle tragiquement sa haine de la loi communautaire. [...]
Si par son suicide, la femme pashtoune impose un acte socialement irrécupérable, elle développe par son chant un défi de nature identique qui peut, lui aussi et à sa manière, se révéler fatal. Car inlassablement ses mélodies exaltent trois thèmes au goût de sang : l'amour, l'honneur, la mort.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 18-19
L'amour de la femme est tabou, frappé d'interdit par le code d'honneur de la vie pashtoune et par le sentiment religieux. Les jeunes gens n'ont pas le droit de se fréquenter, de s'aimer, de se choisir. L'amour est une faute grave, punie de mort. Les indisciplinés sont tués, froidement. Le massacre des amants, ou de l'un d'eux (qui est toujours et sans exception la femme) amorce le processus sans fin de la vendetta entre les clans.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), I, p. 21
Cependant, si la femme pashtoune invite l'homme à l'amour, jamais elle ne l'attire par sa tendresse ou par sa douceur. Elle le provoque dans son honneur et dans sa dignité, mais à ce jeu d'audace, c'est elle qui prend le plus de risques. Car l'homme peut se défendre, s'enfuir, se réfugier dans un pays lointain, tandis que la femme ne possède pas de tels recours. Découverte, elle n'a qu'à se laisser massacrer. Pourtant cette orgueilleuse ne consent aucune allusion à l'évident danger qui la guette. Elle se contente seulement d'encourager l'homme, le vaillant guerrier, à prendre quelques risques.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), I, p. 26
Les choses se passent comme si cette femme soumise, objet parmi d'autres, objet d'échanges sociaux et surtout objet central du code de l'honneur devenait, par une ironie de la dialectique, un sujet, une volonté. Dans ce domaine régi par l'homme et pour l'homme, elle semble prendre les choses en main et inverser la situation. Au mâle qui la regardait comme sa propriété, comme sa chose, et croyait en disposer à sa guise, elle décide d'échapper à l'aide de ses seules mélodies.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), II, p. 30
Cette femme n'aime pas « d'amour maternel » ce garçon qu'elle appelle son fils. Elle ne voit pas en lui « le fruit de ses entrailles » mais plutôt comme un homme qui appartient déjà à la communauté masculine, au camp opposé. Des raisons de trois ordres peuvent expliquer une réaction aussi exceptionnelle :
1. Du travail d'esclave qu'elle accomplit, la part la plus pénible et la plus lourde tient au nombre considérable d'enfants qu'elle nourrit et élève. Elle en voit plus de la moitié mourir à des âges différents. [...]
2. Le fils, à peine adolescent, commence à battre sa propre mère. Ces éclats de brutalité et de cruauté sur la personne de la mère constituent une sorte d'initiation à la vie adulte, un gage de fermeté. Et le père assiste à ces scènes d'affirmation virile du fils avec une sorte de complaisante indifférence.
3. Enfin, les enfants sont généralement les produits d'un mariage forcé, les doubles multipliés d'un mari détesté qui toujours se comporte en maître absolu et tyrannique.
1. Du travail d'esclave qu'elle accomplit, la part la plus pénible et la plus lourde tient au nombre considérable d'enfants qu'elle nourrit et élève. Elle en voit plus de la moitié mourir à des âges différents. [...]
2. Le fils, à peine adolescent, commence à battre sa propre mère. Ces éclats de brutalité et de cruauté sur la personne de la mère constituent une sorte d'initiation à la vie adulte, un gage de fermeté. Et le père assiste à ces scènes d'affirmation virile du fils avec une sorte de complaisante indifférence.
3. Enfin, les enfants sont généralement les produits d'un mariage forcé, les doubles multipliés d'un mari détesté qui toujours se comporte en maître absolu et tyrannique.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), II, p. 31-32
Elle chante exclusivement le destin du corps et privilégie un élément de cette réalité physique : le cœur. Il est le siège des émotions, de la joie et de la tristesse, d'espoirs passagers et de désespoirs profonds. Au point que le mot « cœur » s'utilise souvent comme pour se prendre soi-même à témoin. Par cet artifice, la chanteuse se dédouble et s'adresse le discours poétique. Le cœur se voit aussi parfois personnifié. Il est alors comparé à un oiseau, à une ruine, à une fontaine de sang, à un four fermé qui dévore ses propres flammes.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), III, p. 35-36
Sans illusion quant à une vie future, certaine que tout amour ici-bas est inéluctablement voué à l'échec et à la mort, la femme pashtoune se hausse par ses chants au rang d'une héroïne de tragédie. Son destin s'inscrit dans un espace immense mais que la loi des hommes a tissé d'interdits. Aussi nourrit-elle son image de ce qui ne peut lui être refusé : la nature qui l'entoure. Elle est simple et sans complexité, comme le dessin des plaines nues. Elle est pure, limpide et impétueuse, comme les torrents des vallées rocheuses. Elle est belle, imposante et dure, comme la montagne aux reflets bleus de l'Hindoukouch.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), III, p. 38
Quelques Landays
[modifier]Notice : Ces couplets ne sont pas l’œuvre de Majrouh : ils n'ont été que recueillis et compilés dans son livre, ce qui explique leur présence dans cette page.
Hier soir j'étais près de mon amant, ô veillée d'amour qui ne reviendra plus !
Comme un grelot, avec tous mes bijoux, je tintais dans ses bras jusqu'au fond de la nuit.
Comme un grelot, avec tous mes bijoux, je tintais dans ses bras jusqu'au fond de la nuit.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 24
Pose ta bouche sur la mienne
Mais laisse libre ma langue pour te parler d'amour.
Mais laisse libre ma langue pour te parler d'amour.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 25
- Citation choisie pour le 25 août 2021.
Déjà le coq maudit et son triste chant de départ,
Et mon amant s'en va comme un oiseau blessé.
Et mon amant s'en va comme un oiseau blessé.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 26
Donne ta main mon amour et partons dans les champs
Pour nous aimer ou tomber ensemble sous les coups de couteaux.
Pour nous aimer ou tomber ensemble sous les coups de couteaux.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 27
Reviens percé des balles d'un ténébreux fusil,
Je coudrai tes blessures et te donnerai ma bouche.
Je coudrai tes blessures et te donnerai ma bouche.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 34
Ô tombe ruinée, ô briques dispersées, mon bien-aimé n'est plus que poussière
Et le vent de la plaine l'emporte loin de moi.
Et le vent de la plaine l'emporte loin de moi.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 37
En secret je brûle, en secret je pleure,
Je suis la femme pashtoune qui ne peut dévoiler son amour.
Je suis la femme pashtoune qui ne peut dévoiler son amour.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 39
Ô printemps ! Les grenadiers sont en fleurs.
De mon jardin, je garderai pour mon lointain amant les grenades de mes seins.
De mon jardin, je garderai pour mon lointain amant les grenades de mes seins.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 40
J'ai fait un lit de ma poitrine
Et mon amant fourbu suit un long chemin jusqu'à moi.
Et mon amant fourbu suit un long chemin jusqu'à moi.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 42
Ivre parce que je t'ai souri,
Tu deviendrais fou furieux si je t'offrais ma bouche !
Tu deviendrais fou furieux si je t'offrais ma bouche !
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 44
Mon bien-aimé, mon soleil, lève-toi sur l'horizon, efface mes nuits d'exil.
Les ténèbres de la solitude me couvrent de toutes parts.
Les ténèbres de la solitude me couvrent de toutes parts.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 52
- Citation choisie pour le 5 septembre 2021.
Mes amis, lequel des deux choisir ?
Deuil et exil sont arrivés ensemble chez moi.
Deuil et exil sont arrivés ensemble chez moi.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 52
Si tu ne portes pas de blessure en pleine poitrine,
Je serai indifférente, quand bien même aurais-tu le dos troué comme une passoire.
Je serai indifférente, quand bien même aurais-tu le dos troué comme une passoire.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 53
Viens mon amour que je t'enlace,
Je suis la lierre fragile que l'automne bientôt emportera.
Je suis la lierre fragile que l'automne bientôt emportera.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 55
Déjà minuit, tu n'est toujours pas là.
Mes couvertures sont en feu et me brûlent toute entière.
Mes couvertures sont en feu et me brûlent toute entière.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 56
Je me suis faite belle dans mes habits usés,
Comme un jardin fleuri dans un village en ruine.
Comme un jardin fleuri dans un village en ruine.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 60
Mon amant préfère les yeux couleur de ciel
Et je ne sais où changer les miens couleur de nuit.
Et je ne sais où changer les miens couleur de nuit.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 60
Si meurt mon amant, que je sois son linceul!
Ainsi nous épouserons la poussière ensemble.
Ainsi nous épouserons la poussière ensemble.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 61
Ô Terre ! ton tribut est si lourd,
Tu dévores la jeunesse et laisse les lits déserts.
Tu dévores la jeunesse et laisse les lits déserts.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 62
J'ai une fleur à la main qui se fane,
Ne sais à qui la tendre sur cette terre étrangère.
Ne sais à qui la tendre sur cette terre étrangère.
- Le Suicide et le Chant. Poésie populaire des femmes pashtounes, Sayd Bahodine Majrouh (trad. André Velter), éd. Les Cahiers des Brisants, 1988 (ISBN 2-90539564-8), p. 65
Ego-Monstre
[modifier]Tome I : Le Voyageur de Minuit
[modifier]- Voir le recueil de citations : Le Voyageur de Minuit
Tome II : Le Rire des Amants
[modifier]- Voir le recueil de citations : Le Rire des Amants