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Le Voyageur de Minuit

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Le Voyageur de Minuit est le premier tome du conte philosophique et épique Ego-Monstre de Sayd Bahodine Majrouh et fut publié de manière posthume en 1989. Le second et dernier tome de l’œuvre s'intitule Le Rire des Amants.

Il existe une fiche de références pour cette œuvre :
Le Voyageur de Minuit.

Citations

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Cycle I : La Mort du Monstre

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Jeunes prêtres, je vais vous initier au secret, au secret de la vieille griffe, au secret des secrets! A vos yeux j'enlèverai le voile. De ce dévoilement retenez l'essentiel, qui ne réside pas dans la manière de mettre à nu les secrets, mais bien dans l'art de les savoir voiler. [...] Jeunes serviteurs du Temple, il faut garder le secret... secret!
Donnez-lui constamment déguisements de pratiques et de rites. Organisez des cérémonies de plus en plus solennelles, imposez aux croyants des cultes de plus en plus astreignants – qu'ils aient toujours trop à faire, et jamais assez pour être!
Car les hommes ont satisfaction de pouvoir agir, et malaise de devoir être. Ainsi, comblés par les exercices du culte, gavés de cérémonies, hébétés de rituels, ils seront prêts au sacrifice volontaire.
Vous seuls, jeunes prêtres, serviteurs du Haut Temple, ne serez pas dévorés comme eux; vous seuls échapperez au sort commun puisque le Monstre aura besoin de vous!
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle I, Cercle premier, « Le secret des secrets », p. 38


Il fallut une longue période avant que l'on découvrît ce fait lourd de conséquences : le Chef Illimité était vénéneux. Il répandait autour de lui un poison, d'où résultèrent trois maladies contagieuses inconnues jusqu'alors, et pratiquement incurables : l'ennui, la colère et la peur.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle I, Cercle premier, « La ville malade de son maître », p. 42-43


Seul parmi les voûtes et les arcades, seul parmi les multiples tableaux le représentant à l'infini, unique image et motif central de toutes les tapisseries, seul avec boiseries et cristaux où s'incrustait toujours le motif du Dragon, il aimait à se contempler longuement dans les innombrables glaces et miroirs dont il avait pourvu le palais, qui reflétaient de toutes parts la forme exclusive du Monstre.
Il lui devint de plus en plus difficile de se détacher des miroirs.
Sans eux, il croyait disparaître.
Inconscient de leur menace, ignorant leurs pouvoirs, il alla ainsi au plus grave échec de son abominable existence.
Il ne savait rien de la magie des miroirs.
Il ne savait pas qu'ils sont le seuil de la vraie nuit.
Il ne savait pas qu'au-delà commence l'empire du Moi, et que l'empire de Moi est abîme : l'Enfer enfin.
Retrouvé.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle I, Cercle troisième, « Les architectes de la Cité de l'Ame », p. 54-55


Soulagé, presque arrogant de nouveau, il se crut libre, le Grand Conquérant qu'avait envahi le désert de l'indifférence, qu'avait rongé le vent d'automne de l'angoisse. Libre de la succession des saisons. Libre des joies et des peines. Libre des attaches humaines. Et libre, par-dessus tout, de la chaîne des instants. Mais il ignorait toujours pourquoi il était condamné à ce désert, à cette angoisse. Il se rembrunit, songeant à la métaphore des perles et du collier, représentant la vie comme un fil qui, traversant au cœur les moments disparates du passé, leur donne perspective et sens : celui du collier à offrir, amoureusement, à la Reine du Printemps.
Je préparais un tel collier jadis, il y a si longtemps!
Le fil manqua de force. Les perles ont roulé dans la boue des chemins. Quelques-unes me restent, dépareillées, vaines. Comment pourrais-je jamais retrouver les autres?
Si la Reine du Printemps survenait soudain, moi, les mains vides, qu'aurais-je à lui offrir?
La chaîne de son temps était brisée. Les anneaux des instants, disjoints. Chaque moment qui passait ne le reliait à rien, à personne : il était enchaîné serré. A lui-même.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle I, Cercle troisième, « L'offrande d'un prisonnier du Temps », p. 59-60


– T'oublier? Te retrouver? Qui? Et quoi? Un champ de bataille, ô amour, quel qu'en soit le vainqueur, reste une étendue dévastée. De toute ta vie tu as fait la guerre. Tu as détruit des routes, brûlé des ponts, coulé des navires. Tu as anéanti, et accompli l'aridité. Tu es le Grand Conquérant vaincu par ses conquêtes. Il n'y a désormais ni ponts, ni routes, ni vaisseaux pour toi. L'unique chemin d'oubli, l'unique voie de vie est celle que je t'offre, où tu seras libéré de ton enfer.
Le Grand Conquérant, pour la première fois, vit clairement la roue du destin, qui jamais ne revient en arrière. Il prit soudain conscience, limpidement, d'une réconciliation, d'un soulagement, d'une liberté sans choix. Il n'avait d'autre issue que l'Ange, et le royaume des ombres.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle I, Épilogue, « L'Ange des Ténèbres », p. 65


Cycle II : Le Retour du Monstre

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Il franchit la page. Il passa, repassa les seuils de l’impossible : partout le même mur sans murs, partout l’absurde, l’absence, le non-sens. Il sut, le Voyageur, ou il se crut savoir : jamais il n’aurait dû savoir. Jamais accéder au secret. Jamais tourner la clef. Le monde, la vie mangés par leur absence. La vie, le monde, naufrages aux rives : de l’absurde. Le monde, la vie n’avaient pas sens. Et encore moins de sens la recherche d’un sens.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle II, Cercle cinquième, « Voyage dans le Livre du Temps », p. 83-84


Les puissants de ce monde redoutent ceux qui s'enivrent, répondit le Voyageur, à cause de l'allégresse, de la furieuse gaieté qui parfois brise les idoles. Eux-mêmes ne s'enivrent jamais car ils se gavent de sang. Quiconque, dans sa vie, a goûté du sang d'homme, est incapable ensuite de supporter le vin. A celui-là l'ivresse est fade, et sa vérité, bien trop amère.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle II, Cercle sixième, « La Taverne des Innocents », p. 96


Celui qui pousse les hommes à aimer la mort ne saurait prendre goût aux nourritures terrestres, aux fruits de la beauté vive. Celui qui invite à l'écoute outre-tombe, lui-même jamais n'ouvrira son cœur à la force qui danse, à la joie qui jaillit, à l'amour qui s'élève en chant.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle II, Cercle sixième, « La Taverne des Innocents », p. 96


Dites-moi, amis, ces coupes qui ne cessent de s’emplir et de se vider, quel est le but de leur danse? Qu’y cherchez-vous? L’oubli, sûrement, l’oubli du réel et non la vérité. Vous cherchez à apaiser la souffrance du Moi, non à vous libérer de sa prison. [...] Votre ivresse, ô amis, est un voile d’un soir jeté sur la souffrance. L’attendent les lendemains lugubres, la tête dans l’étau, le dégoût de vous-mêmes. L’ivresse qui me soulève a laissé en arrière les vestiges du Moi, les morsures du Monstre.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle II, Cercle sixième, « La Taverne des Innocents », p. 97


– Amis, votre tout-puissant Seigneur et Maître est ce Monstre, ce Dragon, cet assoiffé de sang, cet affamé de mort. Observez ses yeux et son visage. Voyez l’étau de ses griffes. Et il est né ici! Par vos soins. Par votre soumission à la peur. Ce Monstre est vôtre. Ce Dragon? – votre enfant, sorti de votre cœur pour vous le dévorer! Amis, hâtez-vous : immolez tout d’abord les tyrans miniatures qui jaillissent de vos cœurs et vous empoisonnent l’âme : ainsi vous éviterez d’être sacrifiés au Dragon. Libérez-vous du poison du Moi, ô amis, et hâtez-vous : ensuite il ne sera plus temps!
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle II, Cercle sixième, « Registre du Temps touchant à sa fin », p. 104


Cycle III : Cité de la Lumière Naissante

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Les humains mes amis redoutent quelque chose que redoute également le Monstre : la folie, sa subversion, sa souveraine clairvoyance. Et tant ils s'en méfient qu'ils se jettent, pour l'éviter, dans les griffes du Dragon. Cœurs et âmes, corps et souffle, avec leur liberté! Ainsi fondent-ils le Fléau. Ainsi le font-ils invincible. Ainsi son feu viendra les fondre!
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle septième, « Chant d'éveil », p. 122


Peu de temps vous attend, Amis, préparez-vous!
A l'aube de l'esprit guette le grand combat :
guerre! Amis, suprême guerre à la torpeur,
la pesanteur, l'âme clouée, le corps épais!
Éveil! Éveil du cœur à la source vivante –
afin que l'aube un jour coïncide avec l'aube.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle septième, « Quel soleil, pour quelle aube? », p. 126


– Ami Voyageur, sache que l'Ordre de Tyrannopolis repose sur deux socles : la liberté et l'égalité, selon les termes de cette devise très claire :

CHAQUE MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ EST LIBRE D'ANÉANTIR LES MENTALITÉS ANTI-SOCIALES, NON CONFORMES AUX NORMES DE LA PENSÉE-ÉTAT.

DANS L'ACCOMPLISSEMENT DES TÂCHES SOCIALES TOUS LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ ONT DES DEVOIRS ÉGAUX.


– Voilà, ô Voyageur, les deux solides piliers de l'Ordre. L'un supprime la liberté. L'autre abolit le droit.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle huitième, « Histoire fantastique de Tyrannopolis », p. 136-137


Il se fit d'abord prier, le Tyran, prier et supplier, recevant avec une moue ennuyée ces appels, cette servilité, cette honte. Puis il pose ses conditions, qu'on se déclara d'emblée prêt à accepter - et donna enfin son accord :
– Je consens, ô fidèles sujets. J'accède à votre requête. Je vais donc me consacrer de nouveau à l'éprouvante tâche de gouverner. Mais j'exige en retour votre concours le plus complet, votre dévouement, votre abnégation les plus fidèles. Souffrances physiques et morales ne devront pas vous faire fléchir, car elles iront toujours croissant. Vous me dites : nous sommes venus chercher remède à notre douleur. Elle est la pire : elle est présente. Quant à moi, je vous en promets davantage encore, mais dans l'Ordre : vous la désirerez, puisqu'elle est à venir, et vous soulagera de celle-ci... Votre détermination au sacrifice sera inébranlable; votre fidélité, aveugle; votre soumission, absolue! Ainsi vous soulagerai-je du présent de la souffrance. Ainsi vous délivrerai-je de sa présence intolérable. Ainsi vous libérerai-je du jour qui est... par l'enfer de celui qui vient!
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle huitième, « Histoire fantastique de Tyrannopolis », p. 140


Amis, vigilance, vigilance : observez ce sentier à peine visible, qui file en sinuant vers le lointain et dont on perd trace à la moindre distraction. Il n'est ni aisé ni rapide. Il est plein d'embûches et de chausse-trapes. Des pièges y sont semés. Des précipices le bordent. C'est un sentier à peine sentier. Vigilance, Amis : ce chemin qui existe à peine, qui peut-être n'existe pas, est le bon et le seul, celui de la Liberté. Prenez-le. Emportez-vous. L'homme est voyageur d'impossible, et la Halte suprême dépasse toutes les haltes. La vraie Demeure abolit les demeures.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle huitième, « Histoire fantastique de Tyrannopolis », p. 143-144


Amis, vous avez pouvoir de nommer les choses, de créer sens et valeurs, et là réside votre liberté. Mais ces valeurs que vous chérissez comme vos enfants, si vous en faites des idoles devant lesquelles il sied de s'incliner, vous vous prosternerez bientôt pour les adorer, et l'une d'elles deviendra Monstre. Elle vous dévorera dans votre admiration. Elle dévastera la Cité de votre Âme. Elle engloutira votre pouvoir de sens.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle neuvième, p. 145-146


Amis, les hommes aspirent au sens et l'engendrent eux-mêmes. Ils cherchent valeur au monde et monde de valeurs, et le créent corps et âme – puis s'égarent... Étrangers dans leur ville, convives non souhaités dans leurs propres demeures – Voici l'Homme, ô Amis : créateur exclu de sa création, inventeur oublieux de sa trouvaille, il crée. Il crée valeur et sens. Mais l'insidieuse, la voluptueuse, la rampante inconscience envahit, envahit... et il projette, lui, ah piètre magicien! hors de lui cette valeur, hors de lui ce sens, et ne se souvient plus, lui, leur créateur, et il en fait idoles, se prosterne devant, les implore et n'en voit pas la fin, l'inéluctable fin, où l'Idole-Monstre ne manque pas, ne manque jamais sa cible, dévorant, anéantissant, engloutissant homme, valeur et sens!
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle neuvième, « La Figure et le Pont », p. 157-158


Mon jeune ami, trois voies sont ouvertes :
La première est empruntée par ceux qui, sans avoir posé de question, reçoivent réponse et s'en contentent. Ceux-là s'endorment à vie dans un sommeil de pierre. La seconde constitue le parcours de ceux qui entament leur voyage avec de vraies interrogations, mais qui n'obtiennent pas éclaircissement assez vite à leurs yeux, cèdent aux mirages de la fascination et s'égarent en route. Ces deux voies sont courtes, faciles. La troisième est abrupte. Elle convient aux amoureux fous de la liberté. Trois Demeures sur sa trajectoire : le Réveil, l'Angoisse, l'Âme réconciliée. Courage, ô Ami, c'est la tienne! Elle te permettra d’atteindre les trois Demeures, et de les dépasser. Alors tu sauras quelles questions poser à la vie. Quelles réponses donner à la mort...
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle quinzième, « Oasis du défi », p. 171-172


– Que leur dire?...
– Dis-leur : ceux qui prêchent l'union sous les ordres d'un infaillible despote sont l'avant-garde de l'armée du Dragon, les portes-drapeaux du Monstre! Quand ils apparaissent, c'est signe que l'horreur est proche. La Cité n'a nul besoin de l'union des ignorants, des dupes de la bêtise musclée, ni de la solidarité des inconscients, des brutes casquées, des apôtres de la force! Aux habitants, il faut crier vigilance, il faut crier combat!
– Mais encore, ô Voyageur?
– Dis-leur : l'union, la solidarité, la puissance dont parle le coq de mauvais augure, tout cela n'est qu'aveuglement du cœur, ténèbre de l'esprit et bassesse de l'âme! C'est porte ouverte à la Tyrannie! C'est lâcheté de ceux qui, étrangers à la vie, se précipitent sous la férule la plus proche pour n'avoir rien à décider, mais seulement gueule de chef et rictus d'idole à suivre! La soumission des dévots de l'ordre et de la veulerie, voilà en effet ce que désire le Monstre, voilà la pâture dont il tire son énergie! Ah! dis-leur de refuser! Dis-leur : vigilance et combat sans merci!
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle seizième, « Un coq de mauvais augure », p. 183


Ami, qui aspire à la Liberté n'a nul besoin de tapage et de gloire. Celui qui a engagé le plus grand combat de son existence, qui est bouleversement profond de l'Âme, qu'irait-il courir après la splendeur de ses actes? Cette transformation intérieure est révolution permanente : pour lui, pas un instant de répit, pas un moment de miroir où il contemplerait, et ferait contempler, l'admirable trajectoire de sa démarche! La vanité lui est étrangère. Il est en route vers la beauté. Son imperfection lui importe bien davantage que ses réussites. Plus qu'à l'orgueil, c'est à l'angoisse qu'il a recours. Pour le propulser vers l'effort conscient, l'endurance, la maîtrise de soi :
Voilà par où passe la grandeur de la Liberté. Sa gloire s'accomplit dedans, à l'insu général, sans personne. Qui emprunte ses voies rejoint la discrète cohorte des architectes de l'Âme. Qui accepte ses épreuves voit jaillir la secrète harmonie. Qui saisit son unité n'a plus besoin d'union, n'a peur du divers...
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Cercle seizième, « Des périls de la solidarité », p. 185-186


Ô habitants de la Cité des Ténèbres Naissantes! Je vous avais conjurés de ne pas attendre passivement le lever d'un soleil étrange... d'un soleil non humain. Pour assister à l'apparition d'une telle source infernale, point n'était besoin de contempler les confins du désert et du ciel : il suffisait de tourner le regard vers l'horizon obscur de vos propres âmes! Je vous avais exhortés à ne pas succomber au faux besoin d'un chef, qui n'est que signe de peur et lâcheté, à surtout éviter de prendre guide chez les aveugles, à ne jamais sortir sans conscience de vous-mêmes, à mener lutte à l'intérieur, au cœur de la Cité : là et nulle part ailleurs le Monstre de toujours dresse champ de bataille! Je vous avais dévoilé que les êtres et le Dragon ne redoutent qu'une seule poussée, un unique débordement : la Folie souveraine, qui aimante la Liberté! et que la force du Monstre s'alimenterait de ce recul des hommes face à l'Émancipatrice, bref, que dans la victoire sur la peur résidait le secret de la fin du Dragon.
  • Le Voyageur de Minuit (Ego-Monstre I), Sayd Bahodine Majrouh (trad. Serge Sautreau), éd. Phébus, coll. « Domaine persan », 1989  (ISBN 2-85940-123-7), Cycle III, Épilogue, p. 196-197