Roberto Casati
Apparence
Roberto Casati, est un philosophe italien, né le 9 novembre 1961.
Philosophie de l'Ocean
[modifier]Dans tous les comptes rendus de la colonisation européenne ultérieure, qui dura trois siècles, on perçoit un vif sentiment de perplexité. Les Tasmans, de Bougainville, Mendana, Cook, connaissaient leur affaire, c'étaient des marins compétents, des professionnels aguerris capables d'affronter des traversées océaniques avec des équipements et dans des conditions qu'aujourd'hui nous définirions comme extrêmes, ils savaient ce que voulait dire aller en mer; et c'est justement pour cela qu'ils ne comprenaient pas comment il avait été possible qu'avec des moyens qui leur paraissaient primitif, sans cartes, sans instruments tel le sextant, sans théorie mathématique du ciel, et sur des embarcations légères, les peuples de la Polynésie soient allés d'une île à l'autre sur de telles distances, ni comment ils avaient pu continuer à entretenir des commerces réguliers qui semblaient présupposer des compétences de navigation mystérieuses, presque surnaturelles.
- Philosophie de l'Ocean, Roberto Casati, éd. PUF, 2022 (ISBN 978-2-13-084203-3), p. 42-43
Les câbles textiles sont en soi et pour soi un instrument hors du commun. Leur fonction est d'assembler ce qui est proche ou de contrôler à distance. Constamment inspectés à la vue et au toucher, ils transmettent des informations sur les voiles et sur les autres objets auxquels ils sont liés. Ils se substituent à notre corps quand ils bloquent la barre de gouvernail, libérant nos mains pour d'autres tâches; ils sont une extension de notre corps quand ils deviennent un prolongement de nos bras. Un élément essentiel de la culture maritime est donc la capacité de faire des nœuds et de les défaire.
- Philosophie de l'Ocean, Roberto Casati, éd. PUF, 2022 (ISBN 978-2-13-084203-3), p. 118
La mer avec son altérité a permis à notre espèce de garder et de propager ses traits aventureux et le fait d'y aller, en quête d'aventure, a à son tour donné naissance à une recherche profonde, je dirais abyssale, sur la connaissance, à quelque chose qui, sortant de l'élément liquide, c'est consolidé et asséché en philosophie: dans sa proximité, la mer est si distante de nous qu'elle a réclamé l'invention et la réinvention d'outils conceptuels puissants et versatiles, cristallisés en canons philosophiques et scientifiques. De la navigation, nous tirons d'innombrables leçons: redondance, frugalité, réutilisation, précision lexicale, intelligence collective, observation et communion avec le milieu environnant.
- Philosophie de l'Ocean, Roberto Casati, éd. PUF, 2022 (ISBN 978-2-13-084203-3), p. 205-206
Le plancton est le migrant par excellence, apatride, difficile à ranger dans une case. Si, de nos jours, le travail exige toujours plus de mobilité sans protéger de manière adéquate et semble vouloir faire de nous tous des migrants dépourvus de droits, l'imagination juridique peut créer des instruments qui défendent tous les travailleurs, sur la terre comme sous la surface de l'océan; et si ce qui vaut pour nous peut aussi bien, dès aujourd'hui, s'appliquer au plancton, alors ce que nous mettons en œuvre pour le plancton pourra un jour nous protéger nous.
- Philosophie de l'Ocean, Roberto Casati, éd. PUF, 2022 (ISBN 978-2-13-084203-3), p. 239
La mer serait vue comme une planète étrangère mais attenante, avec laquelle nous pouvons avoir des rapports culturels, diplomatiques ou même commerciaux, mais une exoplanète quand même. Dans la négociation conceptuelle, nous recommencerions à voir la côte comme une frontière, mais pas comme une frontière typique, physique ou orographique, plutôt comme une vrai limite entre deux mondes. Cela ne doit ni nous épouvanter ni nous bloquer.
- Philosophie de l'Ocean, Roberto Casati, éd. PUF, 2022 (ISBN 978-2-13-084203-3), p. 240-241
Contre le colonialisme numérique - manifeste pour continuer à lire
[modifier]Ce qui est intéressant dans le tournant, le parti pris par l'iPad et ses épigones, c'est la façon dont il préfigure le palimpseste de notre vie mentale. C'est une bataille passionnante qui va se jouer dans les années à venir, et dont l'enjeu n'est rien moins que notre principale ressource intellectuelle: l'attention.
- Contre le colonialisme numérique - manifeste pour continuer à lire, Roberto Casati, éd. Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2-226-24627-1), p. 37
Dans ces conditions, quels sont les atouts du livre papier? J'ai dit que disposer chez soi d'une bibliothèque est comme un support visuel pour la mémoire, une trace vivante et inestimable de notre parcours à travers les mots, si ce n'est la forme même de ce qu'on pourrait appeler notre identité.
- Contre le colonialisme numérique - manifeste pour continuer à lire, Roberto Casati, éd. Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2-226-24627-1), p. 49
La discussion sur les nouvelles technologies met alors en lumière une grande équivoque sur l'école et ses finalités. L'école n'est pas (plus ou pas essentiellement) un lieu où s'acquièrent des informations. Les informations sont disponibles dans une très large mesure en dehors de l'école, sur la Toile: de ce point de vue, l'école ne peut pas rivaliser avec la Toile. L'avantage cognitif de l'école est de fournir quelque chose que la Toile ne pourra jamais offrir, à savoir un point de vue différent sur les informations, dans la mesure où les système de recommandations à l'œuvre dans la Toile (« celui qui a acheté x a aussi acheté y ») font tout pour enfermer une personne dans un profil. Ou peut-être l'école peut elle simplement donner l'idée qu'un point de vue est possible, étant donné que l'on ne fait essentiellement aujourd'hui que subir les information. En ce sens, l'école a une valeur exemplaire. Du simple fait qu'elle existe, elle montre qu'il peut exister des choses qui ne sont pas soumises aux logiques dominantes d'une société, et elle maintient ainsi ouverte la possibilité d'une société différente.
- Contre le colonialisme numérique - manifeste pour continuer à lire, Roberto Casati, éd. Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2-226-24627-1), p. 134
Mon éditeur se trouve être un administrateur, membre élu de la communauté d'utilisateurs de Wikipédia. Son travail est bénévole et ne lui confère qu'un titre honorifique virtuel. Grace à des personnes comme lui (ou elle, les administrateurs se cachent sous des pseudonymes), un organisme informatique complexe comme Wikipédia résiste au vandalisme, au spams, et à des formes plus insidieuses d'intervention éditoriale, comme, par exemple, l'autopromotion, le maquillage biographique, la réécriture de l'histoire, et même de la science. Ce n'est pas une bataille facile, mais il n'y a pas, en général, de bataille facile pour qui travaille à préserver et à transmettre un trésor de données.
- Contre le colonialisme numérique - manifeste pour continuer à lire, Roberto Casati, éd. Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2-226-24627-1), p. 169
Ces données nous poussent à réfléchir sur la complexité des décisions qui régulent la production et l'accès à l'information. J'en reviens donc à la proposition que j'ai faite aux professeurs du secondaire, légitimement préoccupés par le copier-coller acritique et inutile de Wikipédia dans les recherches demandées aux élèves, d'encourager au contraire leurs élèves à écrire un article dans Wikipédia. Ce n'est pas une idée subversive: c'est une invitation directe à prendre part au mécanisme de la connaissance. Voir sa notice refusée, lire la discussion, comprendre les interventions éditoriales des autres utilisateurs, est un moyen de se rappeler que connaitre n'est pas seulement recevoir des informations qui seraient présentes sur le web comme l'air est présent autour de nous, ou qui découleraient simplement des faits grâce à une sorte d'agrégation magnétique.
- Contre le colonialisme numérique - manifeste pour continuer à lire, Roberto Casati, éd. Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2-226-24627-1), p. 174
Les informations qui sont généralement pertinentes pour nous peuvent être futiles, tandis que celles qui sont vraiment importantes peuvent avoir une vie propre, indépendamment de la perception que nous avons de leur pertinence. Ces deux axiomes impliquent que l'on peut tranquillement cesser de s'enquérir obsessionnellement des nouvelles, et attendre que la vie nous rattrape d’elle-même.
- Contre le colonialisme numérique - manifeste pour continuer à lire, Roberto Casati, éd. Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2-226-24627-1), p. 176