Pierre Loti
Pierre Loti (né Louis Marie Julien Viaud) est un écrivain français. Il est né à Rochefort le 14 janvier 1850, mort à Hendaye le 10 juin 1923 et enterré à l'île d'Oléron. Officier de marine, ses voyages lui ont inspiré beaucoup de ses romans, dont l'un des plus connus est Pêcheur d'Islande. Il est également connu pour son admiration envers la Turquie.
Le Roman d'un spahi, 1881
[modifier]Ce fut, par un temps sombre, une galopade vertigineuse dans le sable du désert. Un ciel d'hiver, il y a là-bas aussi des ciels d'hiver, plus rares que les nôtres, étonnants et sinistres sur ce pays désolé : des nuages tout d'une pièce, si noirs et si bas, que là-dessous la plaine était blanche, le désert semblait une steppe de neige sans fin.
Et quand les deux spahis passaient, avec leurs burnous, emportés par la course de leurs bêtes emballées, les vautours énormes qui se promenaient par terre par familles paresseuses prenaient un vol effaré et se mettaient à décrire dans l'air au-dessus d'eux des courbes fantastiques.
- Le Roman d'un spahi (1881), Pierre Loti, éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2006 (ISBN 2-07-038531-0), p. 82
Pauvres garçons, qui buvez à la mémoire des morts, riez, chantez, soyez bien gais et bien fous, profitez de l'instant joyeux qui passe !… Mais les chants et le bruit sonnent faux sur cette terre du Sénégal, — et il doit y avoir encore là-bas, dans le désert, des places marquées pour quelques-uns de vous.
- Le Roman d'un spahi (1881), Pierre Loti, éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2006 (ISBN 2-07-038531-0), p. 150
Prenez les matelots, les spahis, — tous ces abandonnés, tous ces jeunes gens qui dépensent leur vie au loin sur la grande mer ou dans les pays d'exil, au milieu des conditions d'existence les plus rudes et les plus anormales ; — prenez les plus mauvaises têtes ; — choisissez les plus insouciants, les plus débraillés, les plus tapageurs ; — cherchez dans leur cœur, dans le recoin le plus sacré et le plus profond : souvent dans ce sanctuaire vous trouverez une vieille mère assise, — un vieille paysanne de n'importe où, — une basque en capulet de laine, — ou une brave bonne femme de Bretonne en coiffe blanche.
- Le Roman d'un spahi (1881), Pierre Loti, éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2006 (ISBN 2-07-038531-0), p. 157
Pêcheur d'Islande, 1886
[modifier]Ils étaient cinq, aux carrures terribles, accoudés à boire, dans une sorte de logis sombre qui sentait la saumure et la mer. Le gîte, trop bas pour leurs tailles, s'effilait par un bout, comme l'intérieur d'une grande mouette vidée ; il oscillait faiblement, en rendant une plainte monotone, avec une lenteur de sommeil.
Dehors, ce devait être la mer et la nuit, mais on n'en savait trop rien : une seule ouverture coupée dans le plafond était fermée par un couvercle en bois, et c'était une vieille lampe suspendue qui les éclairait en vacillant.
- incipit
- Pêcheur d'Islande (1886), Pierre Loti, éd. Calmann-Lévy, 1913, p. 1
Il ne revint jamais.
Une nuit d'août, là-bas, au large de la sombre Islande, au milieu d'un grand bruit de fureur, avaient été célébrées ses noces avec la mer.
- Pêcheur d'Islande (1886), Pierre Loti, éd. Calmann-Lévy, 1913, p. 342
Avec la mer qui autrefois avait été aussi sa nourrice ; c'était elle qui l'avait bercé, qui l'avait fait adolescent large et fort, — et ensuite elle l'avait repris, dans sa virilité superbe, pour elle seule. Un profond mystère avait enveloppé ces noces monstrueuses. Tout le temps, des voiles obscurs s'étaient agités au-dessus, des rideaux mouvants et tourmentés, tendus pour cacher la fête ; et la fiancée donnait de la voix, faisait toujours son plus grand bruit horrible pour étouffer les cris, — Lui, se souvenant de Gaud, sa femme de chair, s'était défendu, dans une lutte de géant, contre cette épousée du tombeau. Jusqu'au moment où il s'était abandonné, les bras ouverts pour la recevoir, avec un grand cri profond comme un taureau qui râle, la bouche déjà emplie d'eau ; les bras ouverts, étendus et raidis pour jamais.
- Pêcheur d'Islande (1886), Pierre Loti, éd. Calmann-Lévy, 1913, p. 342, 343
Les tristes courlis, annonciateurs de l'automne, venaient d'apparaître en masse dans une bourrasque grise, fuyant la haute mer sous la menace des tourmentes prochaines. A l'embouchure des rivières méridionales, de l'Adour, de la Nivelle, de la Bidassoa qui longe l'Espagne, ils erraient au-dessus des eaux déjà froidies, volant bas, rasant de leurs ailes le miroir des surfaces. Et leurs cris, à la tombée de la nuit d'octobre, semblaient sonner la demi-mort annuelle des plantes épuisées.
Sur les campagnes pyrénéennes, toutes de broussailles ou de grand bois, les mélancolies des soirs pluvieux d'arrière-saison descendaient lentement, enveloppantes comme des suaires, tandis que Ramuntcho cheminait par le sentier de mousse, sans bruit, chaussé de semelles de cordes, souple et silencieux dans sa marche de montagnard.
- incipit
- Ramuntcho (1897), Pierre Loti, éd. Calmann-Lévy, 1926, p. 1, 2
La Mort de Philae, 1909
[modifier]- La Mort de Philae (1909), Pierre Loti, éd. Calmann-Lévy, 1930, p. 65