Il y a une loi d'équilibre divin, appelée la communion des Saints, en vertu de laquelle le mérite ou le démérite d'une âme, d'une seule âme est réversible sur le monde entier. Cette loi fait de nous absolument des dieux et donne à la vie humaine des proportions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil des goujats porte dans le creux de sa main des millions de cœurs et tient sous son pied des millions de têtes de serpents. Cela il le saura au dernier jour. Un homme qui ne prie pas fait un mal inexprimable en tout langue humaine ou angélique. Le silence des lèvres est bien autrement épouvantable que le silence des astres.
Lettre du 16 octobre 1878 (?).
Lettres de jeunesse (1870-1893), Léon Bloy, éd. Édouard-Joseph, 1920, p. 98
[À propos du Christ aux outrages d’Henry de Groux] La renommée devait donc emboucher toutes ses trompettes et crever pour lui tous ses tambours.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 7
Il n’est rien au monde que je vomisse autant que le pessimisme, qui représente à la fois, pour l’horreur de ma pensée, toutes les impuissances imaginables (…). Je n’estime que le courage sans mesure et je n’accepterai jamais d’être vaincu, - moi !
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 21
Surtout, je ne veux pas être le pamphlétaire à perpétuité.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 30
Aperçu Gustave Guiches dans le mauvais lieu. J’ai regardé ce drôle bien de face. L’expression de ses yeux fuyants est abominable. Élégance de propriétaire cadurcien. Allure de chat mouillé. Il a toujours l’air d’avoir été rossé avec ses propres échalas, par un métayer sans douceur.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 52
M’en a-t-on assez servi du « grand pamphlétaire » ! Quand messieurs les journalistes sont forcés de me nommer, de rompre, une minute, le silence concerté qu’ils croient si mortel, ils n’ont à dire que cela et ils le disent le plus fort qu’ils peuvent. (…) Ah ! je suis autre chose, pourtant, et on le sait bien. Mais quand je le fus, c’était par indignation et par amour, et mes cris, je les poussais, dans mon désespoir, sur mon Idéal saccagé !
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 64
[Sur Rodin] Ce grand sculpteur, dont les œuvres suent la force, paraît être un homme quelconque. On pourrait le croire pharmacien ou chef de bureau.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 66
[Sur le Protestantisme] Pour discuter, il faut descendre dans un marécage. Les paroles dépensées en vain reviennent, aussitôt, comme un jusant de boue fétide, sur le cœur de l’homme qui les à proférées.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 75
J’ai l’air de parler à la foule pour l’amuser. En réalité, je parle à quelques âmes d’exception qui discernent ma pensée et l’aperçoivent sous le voile.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 78
Je suis pour l’intolérance parfaite et j’estime que qui n’est pas avec moi est contre moi.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 118
Étonnante médiocrité intellectuelle de Napoléon. Ce grand homme est le père de tous les lieux communs du XIXe siècle et plus ils sont abjects, plus leur extraction est sensible.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 133
Autant que je puis voir, toute la fonction de ces magistrats est résumée dans le mot si bête et si lâche de conciliation. (…) le juge mécanique (…) s’applique invariablement à établir une balance, une sorte de mitoyenneté entre la demande injuste et le refus indigné.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 134
Fortifiez-vous à la pensée que j’ai l’ambition de vous déplaire et laissez-moi l’espérance d’y parvenir.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 138
Léon Bloy ?... Connais pas ! Belle réponse d’Alphonse Daudet à qui on parlait de moi chez des millionnaires.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 139
Seigneur Jésus, vous priez pour ceux qui vous crucifient, et vous crucifiez ceux qui vous aiment !
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 150
[Sur Pasteur et la vaccination.] J’exprime fortement, quoique inutilement, mon horreur pour cette ordure, dont l’humanité s’est si bien passée, jusqu’au dernier siècle, et dont l’Angleterre nous gratifia. Le courant moderne est, d’ailleurs, aux inoculations de tout genre. On finira par putréfier les petits enfants de quarante sortes de vaccins.
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 164
Pourquoi, à de certaines heures, sommes-nous assaillis d’une tristesse noire et mauvaise, toute semblable à celle que déterminerait en nous le remords de quelque crime ?
Le Mendiant ingrat – 1892-1895, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 166
Depuis une dizaine de siècles, au moins, il n'y a jamais eu qu'une Question d'Orient, question à triple face et à triple tour. Extermination ou du moins expulsion des Musulmans, extermination des Grecs et conquête du Saint-Sépulcre. Tout le reste est imbécillité et mensonge.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1904, p. 41
On veut à toute force que je sois un très grand et très haut artiste, dont la principale affaire est d'agiter l'âme de ses contemporains, alors que je suis bonnement un pauvre homme qui cherche son Dieu, en l'appelant avec des sanglots par tous les chemins. J'ai écrit cela de bien des façons et personne n'a voulu me croire...
Mon journal, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1904, p. 124
Lorsque les hommes se réunissent, ils ne font ordinairement rien de noble.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1904, p. 201
Tout chrétien qui ne regarde pas chaque pauvre comme pouvant être Jésus-Christ doit être tenu pour un protestant.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1904, p. 269
Voulez-vous savoir ce qu'il y a de vital, de tout à fait essentiel dans l'Église de Jésus-Christ ? Regardez ce que les protestants exècrent.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1904, p. 293
Le Tsar a passé tout près de moi avec toute la chie-en-lit, sans que je pusse l'apercevoir, tant la haie de viande patriote était compacte entre moi et cet avorton.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 187
Avantage de la laideur sur la beauté. La beauté finit et la laideur ne finit pas.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 213
Une preuve bien certaine de l'infirmité de notre mémoire, c'est notre ignorance de l'avenir.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 218
Les riches environnent Paris comme une circonvallation de fumier autour d'une porcherie monstrueuse.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 227
Je ne suis et ne veux être ni dreyfusard, ni antidreyfusard, ni antisémite. Je suis anticochon, simplement, et, à ce titre, l'ennemi, le vomisseur de tout le monde, à peu près. (...) Avec moi on est sûr de ne prendre parti pour personne, sinon pour moi contre tout le monde et d'écoper immédiatement de tous les côtés à la fois.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 288
(...) je me fous de la politique d'autant mieux que je suis installé, depuis des lustres, sur un pic intellectuel d'où le grouillement contemporain est à peine discernable.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 300
Il est intolérable à la raison qu'un homme naisse gorgé de biens et qu'un autre naisse au fond d'un trou à fumier.
Mon journal, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 310
Qu'est-ce que le suffrage universel ? C'est l'élection du père par les enfants.
Mon journal, t. I, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1935, p. 19
Les damnés n'ont d'autre rafraîchissement, dans le gouffre de leurs tortures, que la vision des épouvantables faces des démons. Les amis de Jésus voient autour d'eux les chrétiens modernes et c'est ainsi qu'ils peuvent concevoir l'enfer.
Mon journal, t. I, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1935, p. 161
Le vers libre est, à mes yeux, l'une des pires aberrations modernes, l'une de celles qui proclament avec des éclats de fanfare, l'affaiblissement de la Raison. Remplacer le mystère tout à fait surnaturel du Rythme et du Nombre par des alinéas et des signes de ponctuation, ce n'est pas seulement de la sottise, c'est de la perversité.
Mon journal, t. II, Léon Bloy, éd. Mercure de France, 1935, p. 19
Il y a aussi les automobiles. Espèce de délire homicide et démoniaque. Aucune sécurité. Ce matin, le cocher de notre voiture me montrait une de ces machines qui a tué récemment une vieille femme et qui semble prête à recommencer. Aucun châtiment. L'écraseur a donné un peu d'argent et tout est dit.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 388
À propos des automobiles et des trains électriques, (...) les inventions modernes tendent de plus en plus à donner aux hommes les moyens de fuir.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 396
J'ai l'âme ankylosée, rouillée, immobile. Je suis comme une vieille horloge pleine de poussière.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 398
[Après la destruction, le 8 mai 1902, de Saint-Pierre de la Martinique par l'éruption de la montagne Pelée.] On a récolté près d'un million, pour la Martinique. Les malheureux en recevront-ils seulement un quarantième ? J'imagine que les secours en argent iront surtout à quelques millionnaires dont l'opulence a été plus ou moins entamée par le volcan et qui ont besoin de se refaire. Pour ce qui est des mourants de faim, on leur expédiera de la morue invendable, des farines avariées, des conserves en putréfaction, tous les rebuts et déchets des entrepôts de la France ou de l'Angleterre. Les fournisseurs nageront dans l'allégresse et les tenanciers de la Compassion publique achèteront des immeubles situés à d'énormes distances de tout cratère.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 413
Il y a environ vingt-cinq ans que j'ai commencé ma vie d'écrivain, vie qui a été infiniment dure, ayant toujours préféré l'indigence et même le décri aux vacheries ou prostitutions littéraires qui ont porté plusieurs de mes anciens camarades à l'Académie et au Pouvoir.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 419
On peut être un imbécile et pratiquer tout de même l'imparfait du subjonctif, cela s'est vu. Mais la haine de l'imparfait du subjonctif ne peut exister que dans le cœur d'un imbécile.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 419
Un des inconvénients les moins observés du suffrage universel, c'est de contraindre des citoyens en putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour élire ou pour être élus. Le Président de la République est probablement une charogne.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 468
A force d'avilissement, les journalistes sont devenus si étrangers à tout sentiment d'honneur qu'il est absolument impossible, désormais, de leur faire comprendre qu'on les vomit et qu'après les avoir vomis, on les réavale avec fureur pour les déféquer. La corporation est logée à cet étage d'ignominie où la conscience ne discerne plus ce que c'est que d'être un salaud.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 472
[Après une course automobile Paris-Madrid] Cette chose moderne paraît démoniaque, de plus en plus. Se représente-t-on l'horreur de ces deux ou trois cents voitures hideuses lancées comme des boulets et triturant, chacun à son tour, d'un bout de l'horizon à l'autre, les mêmes lambeaux sanglants ! Il y a des consolations. Une des voitures a pris feu et le chauffeur a été heureusement carbonisé.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 482
Il est évident que tout automobiliste ambitieux est un assassin avec préméditation, puisque un tel sport implique, à son escient et à peu près nécessairement, le massacre de toute créature animée qui pourra se rencontrer sur son chemin. Cela est formel, absolu, indiscutable et l'avachissement inouï des contemporains est seul capable d'expliquer l'ignoble patience qui encourage ce meurtrier.
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 484
Audience du propriétaire. Cet ami du démon appartient à la famille des oraculaires. Impossible de s'en faire écouter, le trait caractéristique du crétin étant de parler sans relâche en admirant les lieux communs qu'il éjacule.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 545
Qu'est-ce que le Bourgeois ? C'est un cochon qui voudrait mourir de vieillesse.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 548
Lagny m'accuse enfin d'obscénité. C'est une promotion. Jusqu'ici j'ai langui dans l'ignominie inférieure. Je n'étais que scatologue.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 567
Ce matin, désastre. Je trouve la fosse ouverte, ma fosse à moi, les vidangeurs ayant omis de la refermer après l'avoir vidée. Aspect horrible et puanteur épouvantable, démocratique.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 571
On peut tout contre moi, excepté me décevoir. Avec ou sans mérite, je suis trop établi dans la vie surnaturelle pour que le démon de l'Illusion puisse avoir sur mon âme un pouvoir quelconque.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 572
J'ai fait mes plus beaux voyages sur des routes mal éclairées.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 583
La Misère est le manque du nécessaire, la Pauvreté est le manque du superflu.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 592
[Sur l'automobile] On sait l'abus atroce de cette hideuse et homicide machine, destructive des intelligences autant que des corps, qui fait nos délicieuses routes de France aussi dangereuses que les quais de l'enfer et qu'on ne pourra jamais suffisamment exécrer.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 607
Chaque fois que la République ôte sa chemise, c'est pour en mettre une plus merdeuse. Le maître, cette fois, le dictateur, c'est Clemenceau, environné de ses domestiques, parmi lesquels Briand le souteneur et la fille Picquart. À quelle curée vont se livrer encore ces chiens ?
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 620
Je pense qu'il n'ya jamais eu d'époque aussi dénuée d'intérêt. Uniformité désespérante de la platitude et de l'ordure, attestée par les sécrétions du journalisme.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 640
Le retour sur le passé ne donne que de la poussière. On est étonné de voir le peu d'importance, la vanité parfaite de tout ce qui avait agité le cœur.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 649
Je crois fermement que le sport est le moyen le plus sûr de produire une génération d'infirmes et de crétins malfaisants. (...) Ceux qui m'ont lu savent que l'unique sport qui "m'a particulièrement séduit depuis mon adolescence" est la trique sur le dos de mes contemporains et le coup de pied dans leur derrière.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 650
Je reviens de la basilique, saturé de tristesse, ayant vu quelques touristes... Puis je me suis dit que l'irrévérence de ces animaux est moins offensante pour Dieu que la médiocrité des dévots qui baisent la terre ostensiblement.
L'Invendable, Léon Bloy, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 651
Qu’est-ce, en effet, que le Protestantisme, sinon le déchet du Christianisme, la négation de l’Essence et de la Substance révélées ? Quand un homme dit : « Je suis protestant », c’est comme s’il disait : « Je n’existe pas ».
Je m’accuse…, Léon Bloy, éd. La Maison d’Art, 1900, p. 75
Plus on est semblable à tout le monde plus on est comme il faut. C'est le sacre de la multitude.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 50
Je l’ai déjà dit et je serai bien forcé de le dire encore : préférer ce qui est noble à ce qui est ignoble et ce qui est beau à ce qui est hideux ; chercher à comprendre, tenter la conquête de n’importe quoi, en sautant par-dessus bornes et clôtures ; vouloir vivre enfin ; voilà ce qui tombe sous l’anathème.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 60
Il est inutile de respecter les vivants, à moins qu'ils ne soient les plus forts. Dans ce cas, l'expérience suggère plutôt de lécher leurs bottes, fussent-elles merdeuses. Mais les morts doivent toujours être respectés.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 101
Par nature, le Bourgeois est haïsseur et destructeur de paradis. Quand il aperçoit un beau Domaine, son rêve est de couper les grands arbres, de tarir les sources, de tracer des rues, d'instaurer des boutiques et des urinoirs. Il appelle ça monter une affaire.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 141
L'universelle supériorité de l'homme qui n'est pas plus bête qu'un autre est ce que je connais de plus écrasant.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 184
Les moralistes ont toujours remarqué depuis longtemps qu'on a toujours assez de force pour supporter les peines d'autrui.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 212
Il faudrait n'avoir aucune expérience de la vie pour ignorer que plus on est riche, plus les charges sont pesantes parce qu'on a moins de prétextes pour s'en plaindre, et il faudrait être sourd et bien insensible pour ne pas entendre, à cet égard, les gémissements des riches et n'en avoir pas le cœur déchiré.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 256/257
On devrait fonder une chaire pour l'enseignement de la lecture entre les lignes.
Éxégèse des lieux communs, Léon Bloy, éd. Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2005, p. 298
Œdipe croyait bien l’avoir vaincu, le monstre immortel ! vaincu à jamais ! et, pour sa victoire, les Thébains stupides l’avaient fait roi et quasi-Dieu, ce divinateur aux pieds gonflés, cet aveugle terrible, parricide et incestueux sans le savoir !
Depuis près de trente siècles, l’esprit humain tette ce symbole, le plus complet que l’antiquité grecque ait laissé. Dans son irrémédiable déval des plateaux lumineux de l’Éden et dans les successives dégringolades postérieures, l’animal raisonnable a ainsi toujours retenu l’idée d’un central rébus dont l’inespérable solution donnerait l’empire du monde aux cloportes subtils qui la découvriraient.
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Les Représailles du Sphinx, p. 13
La forme littéraire de Huysmans rappelle ces invraisemblables orchidées de l’Inde qui font si profondément rêver son des Esseintes, plantes monstrueuses aux exfoliations inattendues, aux inconcevables floraisons, ayant une manière de vie organique quasi animale, des attitudes obscènes ou des couleurs menaçantes, quelque chose comme des appétits, des instincts, presque une volonté.
C’est effrayant de force contenue, de violence refoulée, de vitalité mystérieuse. Huysmans tasse des idées dans un seul mot et commande à un infini de sensations de tenir dans la pelure étriquée d’une langue despotiquement pliée par lui aux dernières exigences de la plus irréductible concision. Son expression, toujours armée et jetant le défi, ne supporte jamais de contrainte, pas même celle de sa mère l’Image, qu’elle outrage à la moindre velléité de tyrannie et qu’elle traîne continuellement, par les cheveux ou par les pieds, dans l’escalier vermoulu de la Syntaxe épouvantée.
Après cela, qu’importe la multitude des contradictions ou des erreurs qui tapissent, à la manière d’anormales végétations, le fond d’un livre où se déverse, comme dans la nappe d’un golfe maudit, tout l’azur de l’immense ciel ?
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Les Représailles du Sphinx, p. 19
Une occasion superbe de baver se présente inopinément. Que la multitude des visqueux soit dans l’allégresse ! Le nouveau livre de Huysmans, En Rade, vient de paraître.
Cet artiste fut beaucoup traîné dans les ordures et conspué royalement dès son début. On se souvient encore de l’ouragan de salive et du compissement procellaire de toutes les presses à l’apparition de Marthe et des Sœurs Vatard. Les traditionnelles archives du bégueulisme et de la pudicité sociale dont la critique des journaux est l’immaculée chambellane furent, en ces temps-là, vidées de leurs trésors, et la besogne de vitupérer ce romancier fut si copieuse, que la clef des sacrées chancelleries de l’indignation, qui se vert-de-grisait auparavant dans les dos des fonctionnaires fut jetée au rancart. Ce fut un débordement fluvial d’humeurs pudibondes, une éruption de pus moral, une évacuation exanthémateuse des fluides blanchâtres de la vertu !
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 23
L’aquatique pureté du feuilleton se sentit menacée jusque dans sa colle la plus intime par ce moraliste indépendant qui ne craignait pas de retrousser les âmes et de visiter les cœurs au spéculum de la plus imperturbable analyse.
Et puis, Huysmans avait le malheur d’être un écrivain, il avait cette inéligible tare qui doit être unanimement réprouvée par l’opinion de toutes les obédiences de la muflerie publique, en attendant qu’une juste loi la flétrisse enfin de quelque infamante peine.
Nul n’est censé ignorer, d’ailleurs, que tout écrivain véritable est radicalement inapte à la production d’une congruente philosophie. Critique d’art, psychologie, sciences morales ou naturelles, tout est interdit à cet empêtré d’azur.
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 24
L’importance oraculaire universellement conférée à d’épouvantables cuistres, tels que Prévost-Paradol ou M. Renan, est assez concluante, semble-t-il, et la gloire voltaïque de ce récent potache, surnommé « le Psychologue », qui inventa de ne jamais écrire, fût-ce par hasard, est suffisante contre-épreuve du mot de Flaubert, mort dans l’indigence : « Ce siècle a horreur de la page écrite. » Le plus grand penseur de la terre — à supposer qu’un tel monstre pût naître viable avec une seule tête — se coulerait ci se fricasserait lui-même à jamais, s’il s’avisait, une seule fois, d’écrire avec éloquence. Telle est la norme fatidique, inéluctable !
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 24
[...] les âmes contemporaines sont matelassées d’une épaisse toison de bêtise impénétrable à n’importe quelle balistique de l’Art.
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 26
Depuis le scandale des Sœurs Vatard, Huysmans est en pleine jouissance d’une étiquette que rien ne pourra décoller. Son nom est devenu synonyme de « pornographe », absolument comme celui du signataire de ces pages est évocateur de tout vocable scatologique. Nul remède à ces identiques radotages. On userait les plus célestes dictionnaires à raconter l’empyrée que l’augurale formule ne varierait pas. Dans une fin de siècle aussi profondément hypocrite, où le signe de la pensée paraît avoir enterré la pensée défunte, le plus légitime emploi de certains mots est un attentat que nul ne pardonne, et jusqu’à la plus défoncée des immémoriales catins récupère, un instant, sa virginité pour s’en indigner, dans son puisard !
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 27
La genèse intellectuelle de Huysmans est commune à la plupart des écrivains de sa génération, plus ou moins inférieurs à lui. Si l’on veut à toute force qu’il ait eu un maître, c’est Flaubert qu’il faudrait nommer, et encore, l’hermétique Flaubert de L’Éducation Sentimentale, celui que personne ne lit. Flaubert et Goncourt pour la langue, Baudelaire pour le spiritualisme décadent et Schopenhauer pour le pessimisme noir, telles furent les incontestables influences qui déterminèrent au début ce protagoniste du mépris.
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 28
Au fait, ce titre d’En Rade est une contre-vérité lamentable. Il n’y a pas de rade du tout, ni d’abri, ni de sécurité d’aucune sorte. On crève d’angoisse, de dégoût et d’ennui dans ce croulant château de Lourps, où l’on avait espéré trouver un refuge. Il vaudrait mieux cent fois — pour ne pas sortir de la métaphore — reprendre la haute mer et risquer tous les naufrages !
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 35
C’est l’histoire pure et simple d’un pauvre diable d’homme distingué, mais faiblement doué du génie des affaires, qui, ruiné de la veille par la faillite judicieuse d’un alerte banquier, espère trouver un peu de relâche à ses tourments dans une solitude de la Brie où les parents de sa femme, paysans peu connus de lui, ont offert l’hospitalité d’un amas de décombres à ces Parisiens décavés dont ils ignorent la détresse.
Jacques Marles ne tarde guère à découvrir l’ignoble cupidité de ses hôtes qui ne l’ont attiré dans leur taudis que dans l’espoir de le carotter à cœur de journée et, ceux-ci, non moins rapides à subodorer sa pénurie, ne se donnent bientôt plus la peine de dissimuler leur cannibalisme de naufrageurs.
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 35
Certaines explorations dans le noir des cœurs — en ces fourmillants abîmes où réside ce que Huysmans appelle « l’inconsciente ignominie des âmes élevées » — pourront donner le hérissement de poil et le frisson d’agonie d’une tombée dans un cratère. La correcte abomination des simagrées familiales, par exemple, ne pouvait être dénoncée de façon plus atrocement exquise, ni par une plume diabolique aussi goguenardement justicière.
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 43
Quand des livres tels que celui dont il vient d’être si longuement parlé font écho à l’état moral de tout un monde, il se peut très bien qu’à l’aurore on ait entendu d’harmonieux soupirs, mais le soir — c’est un hurlement !
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Avant la Conversion : Huysmans et son dernier Livre, p. 44
L'Incarnation de l'Adverbe
Un jour Émile Zola, dont l’esprit graisseux n’est huilé que pour glisser sur les surfaces, s’avisa de peindre Huysmans.
Le fantômatique « Souvarine » de Germinal est le portrait physique, ressemblant à faire peur, de ce virtuose de fascination. Mais ce n’est qu’un portait physique, le seul dont Émile Zola soit capable.
Sur la tombe de Huysmans, Léon Bloy, éd. Paris, coll. « Collection des Curiosités littéraires », 1913, Après la Conversion : L'Incarnation de l'Adverbe, p. 60
Jeanne d'Arc et l'Allemagne(1915)
"La France, ai-je dit ailleurs, est tellement le premier des peuples que tous les autres, quels qu'ils soient, doivent s'estimer honorablement partagés quand ils sont admis à manger le pain de ses chiens".
[...] la folie des Croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine.
La Femme pauvre, Léon Bloy, éd. Mercure de France, coll. « Folio », 1980, p. 234
[Sur le 14 Juillet] Cette fête, vraiment nationale, comme l'imbécillité et l'avilissement de la France, n'a rien qui l'égale dans l'histoire de la sottise des hommes et ne sera certainement jamais surpassée par aucun délire.
La Femme pauvre, Léon Bloy, éd. Union Générale d'Éditions, coll. « 10-18 », 1983, p. 283
[La Marianne] [...] le buste plâtreux d'une salope en bonnet phrygien.
La Femme pauvre, Léon Bloy, éd. Union Générale d'Éditions, coll. « 10-18 », 1983, p. 283
Dès le début, Bloy m'était apparu en effet comme un prototype du catholique mauvais, dont la foi et l'enthousiasme ne s'exaltent vraiment que lorsqu'il peut considérer ses interlocuteurs comme damnés.