Isabel Allende
Apparence
Isabel Allende, née le 2 août 1942 à Lima au Pérou, est une journaliste et écrivaine chilienne naturalisée américaine.
Citations
[modifier]La Maison aux esprits, 1984
[modifier]
Barrabás arriva dans la famille par voie maritime, nota la petite Clara de son écriture délicate. Déjà, à l'époque, elle avait pris le pli de consigner les choses importantes et plus tard, quand elle devint muette, de mettre par écrit les banales, sans se douter que cinquante ans plus tard, ses cahiers me serviraient à sauver la mémoire du passé et à survivre à ma propre terreur.
- Incipit
- La Maison aux esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 9
Souvent ils allaient rendre visite à Pedro Garcia senior à qui le temps avait émoussé les facultés. Il était peu à peu devenu aveugle, une pellicule céleste lui avait recouvert les pupilles :
« Ce sont les nuages qui me rentrent par les yeux », disait-il. Il prenait un vif plaisir à ces visites de Blanca et de Pedro III dont lui-même avait d'ailleurs oublié qu'il était son petit-fils. Il écoutait les histoires qu'ils sélectionnaient dans les livres magiques et qu'ils devaient lui vociférer à l'oreille, car il disait que le vent lui rentrait par là aussi, ce qui faisait qu'il était sourd.
- La Maison aux esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), chap. IV. Le temps des esprits, p. 178 (lire en ligne)
Un jour le vieux Pedro Garcia raconta à Blanca et Pedro III l'histoire des poules qui s'étaient mises d'accord pour faire face au vilain renard.[...]
Blanca s'esclaffa à ce récit et déclara que c'était impossible, car les poules naissent stupides et sans défenses, et les renards rusés et forts, mais Pedro III ne rit point. Il resta songeur tout l'après-midi, à ruminer la fable des poules et du renard, et peut-être fut-ce en cet instant que l'enfant se mit à devenir un homme.
- La Maison aux Esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 180 (lire en ligne)
C'était une de ces femmes stoïques et pratiques de chez nous, auxquelles chaque homme de passage dans leur vie laisse un gosse et qui recueillent de surcroît sous leur toit ceux que d'autres abandonnent, leurs propres parents dans le besoin et quiconque a besoin d'une mère, d'une sœur, d'une tante, de ces femmes qui sont le pilier central de bien des vies adoptives, qui élèvent des enfants pour les voir partir à leur tour et qui regardent leurs hommes se défiler sans l'ombre d'un reproche, parce qu'elles ont bien plus urgent et important à faire.
- La Maison aux Esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 536
Elle m'apparut semblable à nombre d'autres que j'avais connues dans les soupes populaires, à l'hôpital de mon oncle Jaime, au Parlement où elles allaient se renseigner sur le sort de leurs disparus, à la Morgue où elles allaient rechercher leurs morts. Je lui dit qu'elle avait pris beaucoup de risques à m'aider et elle esquissa un sourire. J'ai su à cet instant que les jours du colonel Garcia et de ses pareils sont comptés, pour n'avoir pu venir à bout de l'esprit de ces femmes-là.
- La Maison aux Esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 536
Je me suis assise à son chevet, partageant son attente, et la mort n'a pas tardé à venir le chercher. Elle l'a surpris dans son sommeil, paisiblement. Peut-être rêvait-il que c'était sa femme qui lui caressait la main et lui déposait un baiser sur le front, toujours est-il que dans les derniers jours, celle-ci ne le quitta pas un instant[...] Au début, ce n'était qu'un halo mystérieux, mais au fur et à mesure que grand-père se départait pour toujours de cette rage qui l'avait poursuivi toute sa vie, elle apparut telle qu'elle avait été en ses plus beaux jours, riant de toutes ses dents, ameutant les esprits de son vol fugace. Elle nous aida aussi dans nos pages d'écriture et grâce à sa présence, Esteban Trueba put mourir heureux en murmurant son nom : Clara si claire, ma clairvoyante Clara.
- La Maison aux Esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 538
Plus tard, le petit-fils de la femme violée répète le geste sur la petite-fille du violeur et dans quarante ans, peut-être mon propre petit-fils renversera-t-il sa sa petite-fille dans les hautes herbes du bord de la rivière, et ainsi de suite dans les siècles des siècles, en une interminable histoire de sang, de souffrances et d'amour.
- La Maison aux Esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 539
J'écris, elle écrivit que la mémoire est fragile et que le cours d'une vie est on ne peut plus bref et que tout se passe si vite que nous ne parvenons pas à saisir les relations entre les évènements, nous sommes impuissants à mesurer les conséquences de chaque acte, nous ajoutons foi à la fiction du temps, au présent, au passé comme à l'avenir, alors que peut-être tout arrive aussi bien simultanément, comme le disait les trois sœurs Mora, capables d'entrevoir dans l'espace les esprits de toutes les époques.
- La Maison aux Esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 540
Je veux croire que mon métier n'est autre que la vie, que mon rôle n'est pas de perpétuer la haine, seulement de noircir ces pages dans l'attente du retour de Miguel, le temps d'enterrer mon grand-père qui repose en ce moment à côté de moi dans cette chambre, le temps d'espérer l'avènement de jours meilleurs, tout en portant l'enfant qui pousse dans mon ventre, fille de viols répétés ou bien fille de Miguel, mais avant tout ma fille à moi.
- La Maison aux Esprits, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1984 (ISBN 978-2-213-59214-5), p. 540
D’amour et d’ombre, 1986
[modifier]Dans la pleine lumière du matin, Francisco cadra Irène en conversation avec la famille, de manière à la prendre à son insu, car elle n'aimait pas poser devant l'objectif : les photographies piègent le temps, disait-elle, elles le fixent sur un bout de carton où l'âme apparaît à l'envers.
- D’amour et d’ombre, Isabel Allende (trad. Claude et Carmen Durand), éd. Fayard, 1986 (ISBN 2-213-01702-6), chap. Un nouveau printemps, p. 96 (lire en ligne)
Les Contes d'Eva Luna, 1989
[modifier] Elle avait pour nom Belisa Crepusculario, non par certificat de baptême ou trouvaille maternelle, mais parce qu’elle-même l’avait cherché jusqu’à tomber dessus, et s’en était affublée. Elle faisait métier de vendre des mots.
- Incipit
- Les contes d'Eva Luna (1989), Isabel Allende (trad. Carmen et Claude Durand), éd. Fayard, 1991 (ISBN 2-213-02534-7), p. 15 (lire en ligne)
Paula, 1995
[modifier]
Pourquoi parler autant si tu ne peux pas m'entendre? Pourquoi toutes ces pages si tu ne les lis jamais ? Ma vie se fait au fil du récit, ma mémoire se fixe avec l'écriture; ce que les mots ne couchent pas sur ce papier sera effacé par le temps.
- Paula, Isabel Allende (trad. Pierre Guillaumin), éd. Librairie générale française, 1997 (ISBN 2-253-14119-4), p. 18
L'écriture est une ample introspection, c'est un voyage dans les plus obscures anfractuosités de la conscience, une lente méditation. J'écris à tâtons dans le silence et, en chemin, découvre des parcelles de vérité, de menus cristaux qui tiennent au creux d'une main et justifient mon passage en ce monde.
- Paula, Isabel Allende (trad. Pierre Guillaumin), éd. Librairie générale française, 1997 (ISBN 2-253-14119-4), p. 18
Si je pouvais lui donner ma vie et mourir à sa place! Je suis perdue. Je ne sais pas qui je suis, j'essaie de me souvenir de celle que j'étais avant, mais je ne rencontre que des déguisements, des masques, des projections, des images confuses d'une femme que je ne reconnais pas. Suis-je la féministe que je croyais être ou la jeune fille frivole qui apparaissait à la télévision avec des plumes d'autruche au derrière ? La mère empoisonnante, l'épouse infidèle, l'aventurière téméraire, ou la femme peureuse ? Suis-je celle qui cachait des militants politiques poursuivis ou celle qui s'est enfuie, ne pouvant plus supporter la peur ? Trop de contradictions…
– Tu es tout cela, mais aussi le samouraï qui lutte maintenant contre la mort…
– Luttait, Juan. Je suis désormais vaincue.
– Tu es tout cela, mais aussi le samouraï qui lutte maintenant contre la mort…
– Luttait, Juan. Je suis désormais vaincue.
- Paula, Isabel Allende (trad. Pierre Guillaumin), éd. Librairie générale française, 1997 (ISBN 2-253-14119-4), p. 427
Ce n'était rien, et tout à la fois.
Lumière sacramentelle et obscurité insondable. Je suis le vide, je suis tout ce qui existe, je suis en chaque feuille de la forêt, en chaque goutte de rosée, en chaque particule de cendre que l'eau entraîne, je suis Paula et je suis aussi moi-même, je ne suis rien et je suis tout le reste, dans cette vie et dans d'autres vies, immortelle.
- Paula, Isabel Allende (trad. Pierre Guillaumin), éd. Librairie générale française, 1997 (ISBN 2-253-14119-4), p. 445
Portrait sépia, 2001
[modifier]
L'appareil photographique peut révéler les secrets que l'œil nu ou l'esprit ne captent pas, tout disparaît sauf ce qui a été saisi dans le cadre. La photographie est un exercice d'observation et le résultat est toujours un coup du hasard […]. L'appareil photographique est une chose simple, il est à la portée du plus ignare, le but est de créer cette combinaison de vérité et de beauté que l'on appelle art.
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie II. 1880-1896, p. 135 (lire en ligne)
- Citation choisie pour le 7 novembre 2024.
Don Juan Ribero, en revanche, exigeait beaucoup de moi ; selon lui, une femme devait faire mille fois plus d’efforts qu’un homme pour se faire respecter, tant sur le plan intellectuel qu’artistique. C’est lui qui m’a appris tout ce que je sais en matière de photographie, depuis le choix d’une lentille jusqu’au difficile maniement du révélateur. Il a été mon seul maître. Quand j’ai quitté son studio deux ans plus tard, nous étions devenus amis. Aujourd’hui, il a soixante-quatorze ans et il ne travaille plus depuis plusieurs années, il est devenu aveugle, mais il guide encore mes pas hésitants et me soutient. Etre sérieux avant tout, telle est sa devise. La vie le passionne et sa cécité n’a pas été un obstacle pour continuer à regarder le monde. Il a développé une sorte de clairvoyance. Tout comme certains aveugles se font faire la lecture, lui se fait raconter ce que d’autres observent pour lui.
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie II. 1880-1896, p. 264 (lire en ligne)
« La lumière est le langage de la photographie, l’âme du monde. Il n’est pas de lumière sans ombre, comme il n’est pas de bonheur sans douleur », me dit don Juan Ribero il y a dix-sept ans de cela, dans le cours qu’il me donna en ce premier jour dans son studio de la Place d’Armes. Je ne l’ai pas oublié.
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie II. 1880-1896, p. 266 (lire en ligne)
Comme mon maître Juan Ribero, elle considérait que la photographie et la peinture étaient deux arts fondamentalement différents qui ne se faisaient pas concurrence ; le peintre interprète la réalité et le photographe en rend compte. Tout dans la première est fiction, tandis que la seconde est la somme du réel, plus la sensibilité du photographe.
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie III. 1896-1910, p. 287 (lire en ligne)
Elle aussi était fascinée par la photographie que personne ne considérait encore comme un art et qui, pour beaucoup, n'était qu'une des nombreuses extravagances de ce siècle frivole. « Moi je suis trop vieille pour apprendre la photographie mais toi tu as des yeux jeunes, Aurora, tu peux voir le monde et obliger les autres à le voir à ta façon. Une bonne photographie raconte une histoire, révèle un lieu, un événement, un état d'âme, elle est plus puissante que des pages et des pages d'écriture », me disait-elle.
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie III. 1896-1910, p. 287 (lire en ligne)
Mes cauchemars sont un voyage à l'aveuglette vers les sombres cavernes où sommeillent mes souvenirs les plus anciens, bloqués dans les profondeurs de ma conscience. Par la photographie et l'écriture j'essaie de capter certains moments avant qu'ils ne disparaissent, de fixer le présent pour donner un sens à ma vie.
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie III. 1896-1910, p. 375 (lire en ligne)
La mémoire est fiction. Nous sélectionnons ce qui est le plus brillant et le plus sombre, ignorant ce qui nous fait honte, ainsi brodons-nous la vaste tapisserie de notre vie. A travers la photographie et la parole écrite j'essaie désespérément de maîtriser la condition fugace de mon existence, d'attraper les moments avant qu'ils ne s'évanouissent, de dissiper la confusion de mon passé. Chaque instant disparaît dans un souffle et rapidement se transforme en passé; la réalité est éphémère et migrante, simple regret. Avec ces photographies et ces pages je maintiens en vie mes souvenirs, elles servent de point d'appui à une vérité fugitive, mais vérité tout de même.
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie Épilogue, p. 407 (lire en ligne)
Finalement, la seule chose que nous possédons pleinement, c'est la mémoire que nous avons tissée. Chacun choisit le ton pour raconter sa propre histoire, moi je voudrais opter pour la clarté durable d'une impression au platine, mais rien dans mon destin ne possède cette lumineuse qualité. Je vis cernée par des nuances diffuses, des mystères voilés, des incertitudes, et le ton pour raconter ma vie s'ajuste davantage à celui d'un portrait sépia…
- Portrait sépia, Isabel Allende (trad. Claude de Frayssinet), éd. Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2003 (ISBN 2-25315483-0), partie Épilogue, p. 408 (lire en ligne)
Mon pays réinventé, 2003
[modifier]
Pendant presque toute ma vie j'ai été une étrangère, condition que j'accepte car je n'ai pas d'alternative. Plusieurs fois je me suis vue obligée de partir, en brisant des liens et en laissant tout derrière moi, pour recommencer ma vie ailleurs ; j'ai voyagé sur plus de chemins qu'il ne m'est possible de me souvenir. J'ai si souvent dit adieu que mes racines se sont desséchées, et il m'a fallu en créer d'autres qui, faute d'un lieu géographique où se fixer, l'ont fait dans la mémoire; mais attention! la mémoire est un labyrinthe où guettent des minotaures.
- Mon pays réinventé, Isabel Allende (trad. Alex et Nelly Lhermillier), éd. Grasset, 2003 (ISBN 2-246-65441-6), chap. Quelques mots pour commencer, p. 12 (lire en ligne)
Je n'oublie pas que le livre n'est pas une fin en soi. Tout comme un journal ou une revue, ce n'est qu'un moyen de communication, c'est pourquoi j'essaie d'attraper le lecteur par le cou et de ne plus le lâcher jusqu'à la fin. Je n'y arrive pas toujours, bien sûr, le lecteur est en général évasif. Qui est ce lecteur ? […] On ne sait pas pour qui on écrit. Chaque livre est un message lancé dans une bouteille à la mer dans l'espoir qu'il atteindra l'autre rive.
- Mon pays réinventé, Isabel Allende (trad. Alex et Nelly Lhermillier), éd. Grasset, 2003 (ISBN 2-246-65441-6), chap. Troubles années de jeunesse, p. 196 (lire en ligne)
La Somme des jours, 2012
[modifier] Du bruit et encore du bruit. Je crains plus que tout être devenue sourde, ne pas pouvoir entendre le silence. Sans silence, je suis perdue.
- La Somme des jours, Isabel Allende (trad. Nelly et Alex Lhermillier), éd. Grasset, 2012 (ISBN 978-2-246-78482-1), chap. La muse capricieuse de l’aube, p. 11 (lire en ligne)