Dorothea Tanning
Apparence
Dorothea Tanning, née en 1910 et morte en 2012, est une artiste américaine, peintre, graveuse, sculptrice, écrivaine et poète.
Citations
[modifier]Dorothea, ses jeux, son enfer
[modifier]La neige tombe. Les enfants sont dehors avec leurs luges, qu’ils accrochent à la queue de lourds wagonnets. Tous portent des bottes de caoutchouc fourrées, mais il y a un enfant, et c’est moi, dont les pieds sont comme deux blocs de glace dans leurs bottes. Scène : la pelouse enneigée devant notre maison. Je suis couchée sur le dos, je lève les bras et les laisse retomber dans la poudre blanche et glacée. Quand je me relève, j’ai laissé mon empreinte : un ange.
- Dorothea Tanning: essais, lettres, poèmes et témoignages, Dorothea Tanning, éd. XXe Siècle, 1977 (ISBN 2-85175-055-0), chap. Dorothea, ses jeux, son enfer, p. 5 (lire en ligne)
Je regarde par la fenêtre. Je décide que l’histoire entière de l’homme peut être contenue dans tout ce qu’il a vu par la fenêtre, une béance noire qui, par ses apartés, chuchote et singe les distances incommensurables. L’homme a été dompté par ses fenêtres, l’homme est encadré par ses fenêtres.
- Dorothea Tanning: essais, lettres, poèmes et témoignages, Dorothea Tanning, éd. XXe Siècle, 1977 (ISBN 2-85175-055-0), chap. Dorothea, ses jeux, son enfer, p. 9
« Moi j'aime lire. Tout ce qui me manque, c’est la parole, à ce qu’on dit. Mais j’ai de l’allure et de l’ambition. J’ai l’œil vif. Je sais des choses. […] Pourquoi les gens cherchent-ils constamment la vérité ? En ce qui me concerne, je cherche généralement des beaux mensonges et je trouve, oh combien souvent, des vérités miteuses ». Il jette son joint ou ce qu'il en reste, et commence à aboyer. « Oh ! que le soir explose ! Oh ! que la nuit donne sa patte, à toi d'abord ! »
Le soir explose dans une trainée de bleu cobalt. La gueule du chien entre en éruption et la fumée qui sort trace cette question : Si ton fils devenait flic, le détesterais-tu ?
- Dorothea Tanning: essais, lettres, poèmes et témoignages, Dorothea Tanning, éd. XXe Siècle, 1977 (ISBN 2-85175-055-0), chap. Dorothea, ses jeux, son enfer, p. 11
Moi, je veux séduire par d’imperceptibles passages d’une réalité à une autre. Le spectateur est attrapé (hop !) dans un filet dont il ne peut s’extirper qu’en parcourant tout le tableau, jusqu’à la sortie. Mon plus cher désir : faire un tableau sans sortie, ni pour moi, ni pour l’autre.
- Dorothea Tanning: essais, lettres, poèmes et témoignages, Dorothea Tanning, éd. XXe Siècle, 1977 (ISBN 2-85175-055-0), chap. Dorothea, ses jeux, son enfer, p. 12
1975. Encore dans l’atelier. Tout est là, au fond de mon cerveau turgide. Tout. Mais il est lourd comme une pierre, rien ne monte. La plupart du temps, il fait tout noir la-dedans, on peut y tournoyer à tâtons pendant des heures sans joie. Mon esprit est une cave ténébreuse et ses joyaux sont cachés dans des boites et des malles dont les clés sont perdues ou rouillées. Si on retrouve les clés, elles n’épousent pas les serrures. Ou si elles y vont, elles ne tournent pas. Ou si elles ouvrent la serrure, le couvercle ne se lève pas, les charnières sont trop raides; Même si finalement on ouvre la malle, la plupart de son contenu est pourri et fané par la longue attente et ne vaut pas la peine d’être trainé jusqu’à la lumière.
- Dorothea Tanning: essais, lettres, poèmes et témoignages, Dorothea Tanning, éd. XXe Siècle, 1977 (ISBN 2-85175-055-0), chap. Dorothea, ses jeux, son enfer, p. 15
La vie partagée
[modifier]Un de ces après-midi de mai comme il n'y en a nulle part ailleurs qu'à New York. Un appartement à Chelsea, boiseries sombres et ces magnifiques volets à lattes typiques des vieux immeubles de la ville. Une méridienne, un lit en fer forgé qui parle de Paris, une poupée de Hans Bellmer, une installation de Duchamp, Fresh Widow, et partout des objets, des tableaux, des lives et encore des tableaux. J'étais si impressionnée que j'eus du mal à enregistrer les noms de tous ceux que Julien me présentait avec une grande aisance: Yves Tanguy, Max Ernst, Kurt Seligman, Bob Motherwell, accompagné de sa superbe femme, Maria, Max Ernst, Consuelo de Saint-Exupéry, Peggy Guggenheim, Max Ernst, Max Ernst. C'est donc, en somme, Julien Levy qui a tout fait sans préméditation - il ne croyait pas aux plans -, sans avoir l'air de rien, il lança ma carrière et me trouva un compagnon pour la vie.
- Dorothea Tanning, La vie partagée, C. Bourgois, 2002 (ISBN 2-267-01645-1), p. 61-62
- Max Ernst : vie et œuvre, Werner Spies (dir.), éd. Centre Pompidou, 2007 (ISBN 978-2-84426-341-4), p. 181-182
Il neigeait dru quand il [Max Ernst] sonna à ma porte. II était à la recherche de tableaux pour une exposition qui devait s'appeler 'Trente femmes' ('Trente et une femmes', un peu plus tard), et avait volontiers accepté de se charger d'aller visiter les ateliers d'un bouquet de jeunes et jolies artistes peintres qui, en plus d'être jolies, ce à quoi elles ne pouvaient rien, prenaient leur vocation très au sérieux. […] Quelque chose d’autre attira alors son attention. La photographie d’une partie d’échecs, accrochée au-dessus de ma planche à dessin. 'Ah ! Vous jouez aux échecs !' [...] « Alors, faisons une partie. (Courte pause.) Enfin, si vous avez le temps. » Nous nous mettons à jouer. Le soir est tombé, il a cessé de neiger. Un silence absolu emplit l’espace. Ma reine a été mise en échec deux fois et se trouve en très mauvaise posture. Finalement, je perds. [...] Il y a dans les échecs quelque chose de voluptueux, d’intime. 'Votre jeux est plein de promesses. Je pourrais revenir demain et vous apprendre quelques trucs…'
C'est ainsi que le lendemain et le surlendemain, nous jouons comme deux forcenés.
- Dorothea Tanning, La vie partagée, C. Bourgois, 2002 (ISBN 2-267-01645-1), p. 65-67
- Max Ernst : vie et œuvre, Werner Spies (dir.), éd. Centre Pompidou, 2007 (ISBN 978-2-84426-341-4), p. 182
Entretiens
[modifier]Ma peinture, c’est mon cristal. On veut, devant chaque toile blanche, mais c’est à chaque fois une affaire de grande gravité, on doit absolument provoquer l’apparition. L’apparition est l’événement. Moi, je ne peux pas concevoir la peinture autrement. Ni la voir moins terrifiante si elle reste création.
- « Questions pour Dorothea Tanning, entretien avec Alain Jouffroy, mars 1974 »
- Dorothea Tanning, Alain Jouffroy, éd. Centre national d'art contemporain, 1974, p. 49
Très probablement, dans l'esprit de Breton, je dépendais de Max, de tous les points de vue. (J'avais remarqué avec une certaine consternation que la place de la femme, chez les Surréalistes, n'était pas différente de celle qu'elle occupe chez la population en général, y compris la bourgeoisie). Aussi - avais-je tort ? - je ne le sollicitai pas, je ne désirais pas qu'il écrive sur moi.
- « Questions pour Dorothea Tanning, entretien avec Alain Jouffroy, mars 1974 »
- Dorothea Tanning, Alain Jouffroy, éd. Centre national d'art contemporain, 1974, p. 49
Ma révolte est tellement ancrée que c’est comme une respiration. Il m’est impossible d’imaginer un esprit humain dépourvu de révolte ; ce serait comme un corps exsangue.
- « Questions pour Dorothea Tanning, entretien avec Alain Jouffroy, mars 1974 », dans Dorothea Tanning, 1974, p. 52.
- Elles@centrepompidou, Camille Morineau, éd. Centre Pompidou, 2009 (ISBN 978-2-84426-384-1), p. 38 et 167
Je ne suis pas obsédée par la question femme. Je ne suis pas non plus ébahie par la création masculine. On se doit, si on est femme, de jouer sur les possibilités d’expression exclusivement féminine ; de même qu’un homme doit se contenter de ses possibilités mâles. Quant à la révolution, en effet : elle est une femme.
- « Questions pour Dorothea Tanning, entretien avec Alain Jouffroy, mars 1974 », dans Dorothea Tanning, 1974, p. 56.
- Elles@centrepompidou, Camille Morineau, éd. Centre Pompidou, 2009 (ISBN 978-2-84426-384-1), p. 167
Citations sur
[modifier]Max Ernst
[modifier]- Voir le recueil de citations : Max Ernst
J'aime l'œuvre de Dorothea Tanning parce que le domaine du merveilleux est son pays natal; parce que, dans l'audacieuse entreprise qui consiste à peindre la biographie intime de l'univers, les émois de l'âme de l'enfant, les mystères de l'amour et toute cette monstruosité qui enveloppe l'âge de raison, elle trouve un mode de figuration à la fois nouveau, spontané et convaincant. J'admire le courage qui lui fait prendre une position précise et difficile au milieu de cette confusion générale des idées qui caractérise la situation artistique de notre temps. Elle a compris l'insuffisance des exercices académiques auxquels des masses de soi-disant artistes se consacrent dans les trop confortables monastères de l'abstrait, aux brumes faciles et vagues. Et elle refuse de faire vœu d'obédience aux exigences d'une orthodoxie surréaliste.
La précision est son mystère. C'est grâce à cette précision qu'elle a acquis le pouvoir de nous conduire avec l'assurance du somnambule à travers le monde réel aussi bien qu'à travers celui de l'imagination. C'est parce que dans son œuvre les flammes de la terre brûlent d'une passion calme, continue et souriante, que l'on peut lui donner une place prépondérante parmi les expressions les plus authentiques et les plus personnelles du Surréalisme.
- Exposition, 1944, Julien Levy.
- Écritures, Max Ernst, éd. Gallimard, 1970, p. 320
Alain Jouffroy
[modifier]- Voir le recueil de citations : Alain Jouffroy
Quand je regarde un tableau de Dorothea, je ne suis pas spectateur, mais acteur. Parfois, j’ai le sentiment aigu de commettre une horrible indiscrétion, comme d’entrer sans le vouloir dans une chambre où il ne faudrait pas, à cette seconde, jeter le moindre regard. A d’autres moments, c’est un étrange sentiment de complicité : comme si je partageais, avec elle, et sans que nous ne nous soyons jamais rien dit d’essentiel sur nos deux vies, quelques formidables secrets.
- Dorothea Tanning: essais, lettres, poèmes et témoignages, Alain Jouffroy, éd. XXe Siècle, 1977, chap. L’attentat de Dorothea Tanning, p. 16 (lire en ligne)
Julien Levy
[modifier]J'avais découvert les œuvres d'une tres belle jeune femme, Dorothea Tanning, qui faisait naître de son inconscient un univers enter, minutieusement peint, aussi authentique que Dalí devait l'espérer quand il a demandé à faire photographier en couleur l'intérieur de son cerveau. L'intérieur du cerveau de Dorothea était d'une tout autre sorte que celui de Dali, et érotique sur un mode différent. […]
J'ai donné un diner en son honneur à la galerie après le vernissage de son exposition et je l'ai présentée à Max Ernst. […]
J'avais la certitude que Max, toujours serviable et généreux envers les autres peintres, pourrait lui être très utile pour son travail. De fait, ave le recul on voit bien qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Comme nul ne l'ignore à présent, de toutes les femmes que Max a connues ou épousées, Dorothea était celle qu'il allait garder.- (en) Memoir of an Art Gallery, 1977 (ISBN 0-399-11847-0) [lire en ligne], p. 266.
- Max Ernst : vie et œuvre, Werner Spies (dir.), éd. Centre Pompidou, 2007 (ISBN 978-2-84426-341-4), p. 181