Richard Millet
Richard Millet (né le 29 mars 1953 à Viam en Corrèze) est un écrivain et éditeur français.
Solitude du témoin, 2015
[modifier]Ce qui est mort, c'est l'idée de culture en tant que civilisation, le Culturel lui, étant l'alliance du divertissement et de la Propagande, c'est-à-dire un conditionnement de masse opérant au nom même du narcissisme individuel.
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 16
On est donc passé des Lumières à l'éternité de la LED et au ciel ultramarin. Le beau est devenu un droit. La ténèbre est morte avec la nuit. On est entré dans une lutte contre le temps : l'immortalité, ici et maintenant ; je serai encore là dans cent ans, la plupart de mes organes remplacés, et mon esprit voué au culte du corps médical dont je sais bien qu'il constitue, avec les avocats et les juges, le vrai clergé, pense l'imbécile contemporain, qui confond le grand retardement avec l'Éternité.
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 26
La fin de l'histoire est une ruse du capitalisme pour faire accepter le remplacement des nations par le Marché. Consommez, nous nous occupons de tout : vieux slogan totalitaire qui empêche la pulsion de mort de se manifester comme telle…
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 27
La société occidentale est, dans son ensemble, une vaste scène pornographique, non pas divisée en sociétés, cultures ou nations mais à prendre tout d'un bloc, la pornographie étant la nouvelle universalité, et un des nerfs de la guerre en cours. C'est pourquoi cette chronique évoquera surtout l'obscène, lequel se cache souvent dans la grande vertu qui est en train de s'imposer, et dont le culturel est un des visages.
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 80
Dans un collège de Cholet, un ancien résistant évoque sa captivité à Dachau, et notamment les expériences médicales que les nazis y pratiquaient sur les détenus ; les élèves ricanent, baillent, consultent leurs téléphones mobiles, à ce point entrés dans la post-histoire qu'ils ne savent plus où ils se trouvent ni, probablement, qui ils sont, incapables de mesurer, d'écouter, de regarder, de se représenter le passé autrement que par les images autorisées. Numérisation de la pensée. Faillite de la transmission. Vieillesse du sens…
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 123
Si Valéry revenait parmi nous, que reconnaîtrait-il ? Le langage ? Les livres ? Les valeurs ? Verrait-il la formidable inversion de ces dernières et la doublure numérique du monde où le réel a été remplacé par son image ? Constaterait-il enfin la mort de notre civilisation ?
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 137
Deux chrétiens accusés de blasphème contre le Coran brûlés vifs dans un four à brique au Pakistan, par une foule en délire ; cela n'indigne personne en Occident ; ni musulmans ni chrétiens dans les rues. Je prie pour eux, cette nuit avec une émotion qui m'épuise.
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 165
Tout n'est pas perdu : un grand métis, près de moi, ce matin dans le RER, lit La crise du monde moderne de Guénon ; près de lui, une femme de quarante ans est plongée dans La Pitié dangereuse. Plus loin, une autre femme voyage sans écouteurs, sans chewing-gum, les mains jointes, les yeux mi-clos, un beau sourire au lèvres.
- Solitude du témoin, Richard Millet, éd. Éditions Léo Scheer, 2015, p. 166
La Confession négative, 2009
[modifier]- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 67-68
- À propos de Jocelyne Khoueiry.
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 397
- Réponse à la remarque « Vous êtes raciste ! » d'un journaliste américain en pleine guerre du Liban.
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 192
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 197
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 277
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 62
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 382
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 419
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 477
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 447
- La Confession négative, Richard Millet, éd. Éditions Gallimard, coll. « NRF », 2009, p. 432
L'Opprobre, 2008
[modifier]Je hante ceux qui voudraient que je n'existe pas. Je sais que tout a déjà été dit, déploré, évacué, analysé ; que le combat est sans doute vain ; que la Technique et le Système, le Spectacle, le Nihilisme obscurcissent le monde ; que ma voix sera prétendue fausse, ou même vraie par l'Adversaire ; mais il leur manquera toujours le rythme, la grâce, la lumière du chant.
- L'Opprobre, Richard Millet, éd. Gallimard, coll. « nrf », 2008 (ISBN 978-2-07-012066-6), p. 20
On a tort de me voir en aigri ou en cynique : je vis dans une forme supérieure de l'ironie. Mais qu'il me soit permis de dire que je ne me sens rien de commun avec les habitants des cités d'Occident, néo-barbares, pseudo-victimes, esclaves petits-bourgeois, ilotes consentants. Par fidélité à mes goûts, et au goût, je me situe hors du processus d'aliénation générale dans lequel le stress et les consolations du consumérisme constituent le nouveau battement du monde.
- L'Opprobre, Richard Millet, éd. Gallimard, coll. « nrf », 2008 (ISBN 978-2-07-012066-6), p. 24
Que le développement de la Technique soit devenu concomitant de la dégradation de la langue, et l'homme en revient irrésistiblement au cri, à l'onomatopée.
- L'Opprobre, Richard Millet, éd. Gallimard, coll. « nrf », 2008 (ISBN 978-2-07-012066-6), p. 43
C'est parce que, terrifiée, elle tend à nier la mort que notre époque refuse la lecture ; lire c'est, en effet, vivre en fantôme du futur ; c'est en quelque sorte faire, vivant, l'épreuve heureuse du mourir.
- L'Opprobre, Richard Millet, éd. Gallimard, coll. « nrf », 2008 (ISBN 978-2-07-012066-6), p. 80
- Citation choisie pour le 1 mars 2017.
L'École comme lieu de dissolution du lien commun qu'était la langue en sa manifestation littéraire, historique, symbolique, universelle. Ainsi vidée d'elle-même, la langue n'est plus qu'un corps errant, un zombie, ou un instrument de domination technique.
- L'Opprobre, Richard Millet, éd. Gallimard, coll. « nrf », 2008 (ISBN 978-2-07-012066-6), p. 95
La croissance du désert est à chercher non pas tant dans sa réalité africaine ou australienne, que dans le surpopulation despiritualisée, anesthésiée, conditionnée par la mondialisation télévisuelle et qui ne sait pas, ne veut pas savoir que le diable veille sur elle, et qu'elle regarde le monde par les yeux du Démon.
- L'Opprobre, Richard Millet, éd. Gallimard, coll. « nrf », 2008 (ISBN 978-2-07-012066-6), p. 107
On me lit mal. Sans cesse on entend me réduire à l'une de mes composantes, sans voir, d'ailleurs que je pourrais répudier les unes et les autres pour ne garder que l'essentiel : ma condition d'écrivain. Corrézien ? Ma famille paternelle est de Toulouse. Catholique ? Mon père est protestant et j'ai été élevé dans le puritanisme. Provincial ? J'ai grandi au Liban. Puriste ? J'ai été élevé dans plusieurs langues. Écrivain ? J'écris dans le deuil du compositeur que je n'ai pas été, mais musicien avant toute chose. Raciste ? J'aime l'idée qu'il existe d'autres races. Nationaliste ? J'aime les frontières, par souci de les franchir, de me réfugier ailleurs. Réactionnaire ? Je ne voudrais vivre à aucune autre époque du passé et ne regretterai nul futur. Je n'ai que la nostalgie de certains êtres. J'habite cette forme d'espoir qu'est le dévoilement de la vérité.
- L'Opprobre, Richard Millet, éd. Gallimard, coll. « nrf », 2008 (ISBN 978-2-07-012066-6), p. 120
- Citation choisie pour le 19 septembre 2019.
La Gloire des Pythre, 1995
[modifier]Il sentirait jusqu'à la fin l'odeur des corps que l'on gardait à la mauvaise saison, s'il y avait trop de neige, d'abord dans l'ancien grenier des Gorce, puis dans cette baraque sur pilotis qui ressemblait à un clapier dressé contre le ciel et qu'on avait fini par élever derrière chez Niarfeix, à l'entrée d'un grand pré en pente douce qui se redressait à son extrémité en se tordant comme pour ne rien perdre de la lumière, de cette belle et froide lumière du nord-est et dont les plus rudes d'entre nous tiraient leurs certitudes.
- La Gloire des Pythre, Richard Millet, éd. Editions Gallimard, Folio, 1997, p. 13