Marin
Apparence
Littérature
[modifier]Essai
[modifier]Bernard Moitessier, Vagabond des mers du sud, 1960
[modifier]L’ouïe est, je crois, le sens le plus précieux du marin, tellement précieux que bien souvent, alors que je tenais la roue, le buste à moitié sorti de la cabine pour mieux voir à travers les embruns, j’ai retiré le capuchon de mon ciré afin de ne pas être gêné par les faux bruits du vent sifflant sur la tranche du capuchon... Tant pis pour l’eau froide qui s’infiltre le long du cou et descend sur les épaule et la poitrine. Il faut entendre avant tout, surtout la nuit, par nuit noire, lorsque la vue doit se mettre au repos, ou plutôt en veilleuse.
- Vagabond des mers du sud, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 2011 (ISBN 978-2-290-05457-4), p. 130 - 131
Jacques Perret, Rôle de plaisance, 1957
[modifier]Tout cela impliquait un certain nombre de corrections, mais le navigateur n'en est pas à une près. Naviguer, c'est corriger.
- Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 61
Roman
[modifier]Joseph Conrad, Le nègre du Narcisse, 1897
[modifier]– Est-ce le charme de l'impossible ? Ou bien ces êtres qui existent en marge de la vie sont-ils touchés par ses contes comme par la révélation énigmatique d'un univers resplendissant qui existe en deçà de cette frontière de crasse et de faim, de misère et de débauche — qui de tous côtés descend jusqu'aux rives de l'océan incorruptible et se trouve être le seul aspect qu'ils voient de la terre qui les environne, ces éternels prisonniers de la mer. Mystère !
- Le nègre du Narcisse (1913), Joseph Conrad (trad. Robert d'Humières), éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 2007 (ISBN 978-2-07-025041-7), p. 20
Mais en vérité, ils avaient été des hommes qui connaissaient la peine, les privations, la violence, la débauche — mais ne connaissaient point la peur et n'éprouvaient aucun élan de méchanceté en leur cœur. Des hommes difficiles à diriger, mais faciles à inspirer, des hommes sans voix — mais suffisamment virils pour mépriser dans leur cœur les voix sentimentales qui se lamentaient sur la dureté de leur destin. C'était un destin et c'était le leur ; cette capacité de le supporter leur semblait le privilège des élus ! Leur génération vivait muette et indispensable, sans connaître les douceurs de l'affection ou le refuge du foyer — et mourait libre de la sombre menace d'une tombe froide. Ils étaient les éternels enfants de la mer mystérieuse. Leurs successeurs sont les fils adultes d'une terre insatisfaite. Ils sont moins dépravés mais moins innocents ; moins irrévérencieux mais peut-être aussi moins croyants ; et s'ils ont appris à parler, ils ont aussi appris à gémir.
- Le nègre du Narcisse (1913), Joseph Conrad (trad. Robert d'Humières), éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 2007 (ISBN 978-2-07-025041-7), p. 36
Mais les autres étaient solides et muets ; ils étaient effacés, courbés et endurants comme des caryatides de pierre qui dans la nuit soutiennent les galeries illuminées d'un édifice éclatant et splendide. Ils ne sont plus maintenant — et c'est sans importance. La mer et la terre sont infidèles à leurs fils : une vérité, une foi, une génération d'hommes passent et c'est l'oubli et c'est sans importance ! Sauf peut-être pour les rares êtres qui croyaient à cette vérité, professaient cette foi ou aimaient ces hommes.
- Le nègre du Narcisse (1913), Joseph Conrad (trad. Robert d'Humières), éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 2007 (ISBN 978-2-07-025041-7), p. 36
James Joyce, Ulysse, 1922
[modifier]Une vie terrible aussi celle des marins. Les grosses brutes de paquebots qui prennent le large et barbotent dans la nuit et beuglent comme des veaux marins. Faugh a ballagh. Arrière, bougre de nom de dieu ! D'autres dans des coquilles de noix, avec un bout de voile comme un mouchoir de poche, dansant comme des bouchons sur l'eau, quand les vents soufflent en tempête. Et mariés qui plus est. Quelquefois pendant des années on ne sait pas où, à l'autre bout du monde.
- Ulysse, James Joyce (trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1957 (ISBN 2-07-040018-2), p. 588
Herman Melville, Moby Dick, 1851
[modifier]I. Mirages
[modifier] Qu'est-ce que ça peut me faire, à moi, qu'un vieux sagouin de capitaine me donne l'ordre de prendre le balai et de balayer les ponts ? Tout bien pesé, quelle importance à cette servitude ? — je veux dire dans les balances du Jugement Dernier ? — Croyez-vous que l'archange Gabriel sera le moins du monde influencé de ce que, selon le cas, j'obéis vite et souple au vieux sagouin ? Qui, dites-moi, n'est esclave ? Et alors le capitaine a beau me commander et même me rouer de coups. Je suis content de savoir que c'est « all right », que tout le monde, d'une façon ou d'une autre, en reçoit autant — au physique comme au métaphysique je veux dire — et comme ça l'universel coup de pied au cul fait le tour et tous les hommes se frottent mutuellement les fesses et sont contents.
- Moby Dick, Herman Melville (trad. Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono), éd. Gallimard, 1996 (ISBN 978-2-07-040066-9), p. 45 (voir la fiche de référence de l'œuvre)
XIV. Nantucket
[modifier] Seul le Nantuckais réside sur la mer et s'y complaît ; lui seul, pour parler le langage de la Bible, y descend dans les bateaux et va çà et là, labourant comme sur sa propre et particulière plantation. C'est là son chez-lui. C'est là son affaire qu'un nouveau déluge ne saurait interrompre, même s'il engloutissait la Chine toute entière. Il vit sur mer comme le coq de bruyère dans la lande ; il se cache parmi les vagues, il les gravit comme les chasseurs de chamois gravissent les Alpes. Des années durant il ignore la terre, si bien que, lorsqu'il y aborde, elle a l'odeur d'un autre monde, une odeur plus étrange que la lune n'en aurait pour un homme de la terre.
- Moby Dick, Herman Melville (trad. Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono), éd. Gallimard, 1996 (ISBN 978-2-07-040066-9), p. 116 (voir la fiche de référence de l'œuvre)
Jacques Perret, Le vent dans les voiles, 1948
[modifier]— Je pensais que tout le monde était sur le pont.
— Vous voulez plaisanter ? C’est un temps à garder toute la toile si on voulait, le bateau ne fatigue pas, au contraire.
— Quoi au contraire ?
— Il prend un peu d’amusement.
— N’empêche qu’elle fait un peu eau la frégate, dit Gaston en désignant les hommes de pompe.
— Fait de l’eau ! fait de l’eau ! Bien sûr qu’elle fait l’eau. On ne peut pas l’empêcher de boire un coup, non ? Une frégate comme il faut ne refuse pas l’eau, Monsieur, c’est une politesse qu’en passant elle fait à la mer. Holà ho ! Parez à brasser le petit hunier, les gars !
- Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006 (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 172