Laideur
Littérature
[modifier]Écrit intime
[modifier]Casanova
[modifier]- Histoire de ma vie, Giacomo Casanova, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, t. I, vol. 1, chap. VII, p. 132
- (fr) Ma chambre n’étant séparée de celle de Son Éminence que par une très légère cloison, je l’ai entendue en soupant donner une forte réprimande à quelqu’un qui devait être son principal domestique et avoir la direction du voyage. [Le cardinal reproche à son domestique de ne pas dépenser encore plus.] “[A]yant un peu d’esprit, vous pourriez ordonner d’avance par des exprès des repas dans des lieux où après je ne m’arrêterais pas et qu’on payerait tout de même, et faire préparer à manger pour douze quand nous ne serions que six […]” C’est le caractère du grand seigneur espagnol ; mais le cardinal dans le fond avait raison. Je l’ai vu partir le lendemain. Quelle figure ! Non seulement il était petit, mal bâti, basané, mais sa physionomie était si laide et si basse que j’ai reconnu le véritable besoin qu’il avait de se faire respecter par la profusion et distinguer par des décorations, car sans cela on l’aurait pris pour garçon d’écurie. Tout homme qui a un dehors révoltant doit, s’il le peut et s’il a de l’esprit, faire tout pour détourner de l’examen de son individu les yeux qui le voient. Les ornements extérieurs sont un excellent remède contre ce mauvais présent de la nature. Celui d’employer le faste est le seul moyen qu’ont les laids pour faire la guerre à la beauté.
- Histoire de ma vie, Giacomo Casanova, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, t. III, vol. 11, chap. VI, p. 711 et 712
- (fr) Je l’examine, et en comparaison de Pauline elle me semble rien. Plus blanche parce qu’elle était blonde, moins grande, et sans le moindre air de noblesse, elle ne m’intéresse pas. Quand elle riait, toute sa beauté disparaissait. C’est un grand malheur pour une femme jolie que le rire l’enlaidisse ; le rire qui souvent a la force d’embellir une laide.
- Histoire de ma vie, Giacomo Casanova, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, t. III, vol. 9, chap. X, p. 210-211
- Pensées, provoc et autres volutes, Serge Gainsbourg, éd. Livre de Poche, 2006, p. 67
Le dimanche après-midi berbois est toujours si accablant ! On aimerait se réjouir, comme dans le Faust, lorsque après une semaine de travail tout le monde va s'ébattre en plein air. Mais ces pauvres gens sont pour la plupart si laids qu'on les déteste plus qu'on ne les plaint. Et ce n'est point là de la simple et saine laideur.
Déjà sur les traits délicats des enfants se peut discerner la trace du péché originel. Et ce mauvais goût mi-paysan, mi-petit-bourgeois ! Là où subsisterait un quelconque charme physique, il se voit éliminé sans pitié par le vêtement. Ainsi, des souliers, Dieu sait que les pieds d'enfants grandissent vite, et les nouveaux souliers, justement les souliers du dimanche, sont prévus en conséquence. Les bas témoignent d'une absence totale du sens des couleurs. Tout cela parle un jargon si affreux, d'un esprit si borné. Seules les couleurs ne parlent pas, elles jurent.
Et la voiture d'enfant, archibondée, quelle misère ! La mère enceinte, pâle, méchante et tenace !
Vers le soir l'alcool commence à faire sentir son effet. Le crétinisme gagne en importance, tous deux agissent de façon significative.
Le tout sans élan, le moindre geste entravé. Les gens se gênent parce que, dans le fond, ils ne sont du tout aussi mauvais qu'ils en ont l'air. D'une manière quelconque le dimanche tout entier a un sourire gêné.
Qu'il est difficile, tout de même, de se faire un sentiment social !
- Journal (1957), Paul Klee, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1959 (ISBN 978-2-246-27913-6), Journal III, p. 162
- Il en est de même pour le jugement entre le "bien" et le "mal"
- Petite Philosophie à l'usage des non-philosophes, Albert Jacquard, éd. Calmann-Lévy (Livre de poche), 1997, p. 81
- Les Passions schismatiques, Gabriel Matzneff, éd. Stock, coll. « Le Monde ouvert », 1977, chap. L'écriture, p. 117
- Henry et June — Les cahiers secrets (1986), Anaïs Nin (trad. Béatrice Commengé), éd. Stock, 2007 (ISBN 978-2-234-05990-0), Août (1932), p. 286
- La Crèche et la Croix (1941), Edith Stein, éd. Ad Solem Éditions S.A., 2007 (ISBN 978-2-940402-10-6), p. 27
Essai
[modifier]La laideur est devenue la matière première d'une profession. Pendant que des esprits intéressés la malaxent, la triturent, la préparent, la distribuent en pilules, en cachets, en suppositoires, les petits esprits suiveurs, en quête de nouveauté et de modernisme à tous prix, l'adoptent comme nourriture. Certes, je comprends bien que, pour qui a été jusqu'ici nourri de viandes saines, de poissons frais et de primeurs, bouffer de l'excrément est une sacré nouveauté. Mais qu'on me présente cette aberration comme un régime régénérateur, avouez qu'il y a de quoi regimber. Et que de boutiques pour présenter cette cuisine ! Architectes, peintres, sculpteurs, musiciens : tout le monde s'y met.
Laissez-moi regarder encore un instant la feuillaison nouvelle des peupliers. cela sera tant de pris.
Nouvelle
[modifier]Renée Vivien, La Dame à la Louve, 1904
[modifier]La Soif ricane
« Pourquoi t’arrêtes-tu ? » me demanda Polly.
« Je regarde la Soif. Sa robe est grise comme l’herbe sèche là-bas. Elle grimace. Elle ricane. Les contorsions de sa carcasse me font peur. Elle est bien laide, la Soif. »
- La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, La Soif ricane, p. 26