L'Abuseur de Séville
L'Abuseur de Séville (en espagnol El burlador de Sevilla y convidado de piedra) est une pièce de théâtre du moine Tirso de Molina. Elle est la première œuvre littéraire créant le mythe de don Juan.
Citations
[modifier]Acte I
[modifier]- Monologue du laquais Catherinon à la suite d'un naufrage, après avoir traîné son maître Don Juan jusqu'à la plage.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte I, p. 55-57
Thisbé : Homme, que ressens-tu dans un pareil malheur ?
Catherinon : Pêcheuse, beaucoup de mal et manque de beaucoup de bien. J'ai peur que, parce qu'il a sauvé ma vie, mon maître n'ait perdu la sienne. Regarde ce qu'il en est.
Thisbé : Non, il respire encore.
Catherinon : Par où ? Par ici ?
Thisbé : Eh !... Par où sinon ?
Catherinon : Il pourrait exhaler par quelque autre orifice.
Thisbé : Que tu es sot !
Catherinon : Permets-moi de baiser tes mains de neige froide.
- Dialogue entre Catherinon et Thisbé, après que celle-ci se soit portée au secours de Don Juan et son laquais.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte I, p. 57
Thisbé (prenant la tête de Don Juan dans son giron) : Jeune homme excellent, vaillant, noble et gracieux. Revenez à vous, Monsieur.
Don Juan : Où suis-je ?
Thisbé : Vous pouvez bien le voir : dans les bras d’une femme.
Don Juan : Je vis en vous, si dans la mer je me mourais. Déjà s’est effacée toute la crainte que j’ai eue de me noyer, puisque du sombre enfer marin, je sors vers votre ciel clair. Un épouvantable ouragan fit naufrager mon navire, pour me jeter à ces pieds qui me donnent refuge et port. Et dans votre divine aurore, je renais, sans qu’il y ait de quoi s’étonner, puisque, vous le voyez, d’aimer à mer il ne s’en faut que d’un seul son.
Thisbé : Vous avez bien du souffle pour quelqu’un qui sans souffle arriva, et au sortir d’un tel tourment, vous offrez beaucoup de plaisir. Mais si la mer est torture et si ses ondes sont cruelles, c’est la tension des cordes qui, je pense, vous contraint à parler. Sans nul doute avez-vous puisé dans les flots ce dernier discours, et s’il a montré tant de sel, c’est que la mer est d’eau salée. Vous exprimez beaucoup quand vous ne dites rien, et mort vous arrivâtes, mais, à ce qu’il paraît, nullement insensible. Plaise à Dieu que vous ne mentiez pas ! Vous paraissez un cheval grec que la mer rejette à mes pieds, car vous vîntes composé d’eau et vos entrailles sont de feu. Et si mouillé vous embrasez, séché, que ne ferez-vous point ? Vous promettez beaucoup de flamme. Plaise à Dieu que vous ne mentiez pas !
Don Juan : Ah ! plût à Dieu, bergère, que dans les flots je me noyasse, afin que sage je périsse et non pas que fou de vous je mourusse ! Car la mer eût pu m’engloutir au sein de ses vagues d’argent, par la tempête déchaînées, mais n’aurait point su m’embraser. Vous tenez beaucoup du soleil, puisque le soleil vous permet que par votre seule apparence, de neige étant, vous enflammiez.
Thisbé : Pour tout glacé que vous soyez, vous avez en vous tant de feu qu’à ma flamme vous vous brûlez. Plaise à Dieu que vous ne mentiez pas !
- Dialogue entre Thisbé et Don Juan, après que celui-ci est repris connaissance.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte I, p. 59-61
Don Juan : Je meurs.
Thisbé : Comment, si vous marchez ?
Don Juan : Je marche comme une âme en peine, ainsi que vous voyez.
Thisbé : Vous parlez beaucoup.
Don Juan : Vous comprenez beaucoup.
Thisbé : Plaise à Dieu que vous ne mentiez pas !
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte I, p. 65
- Catherinon à Don Juan, ayant appris que son maître compte séduire Thisbé.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte I, p. 77
Acte II
[modifier]- Catherinon à propos de Don Juan.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte II, p. 95
Don Juan : Quoi de neuf à Séville ?
Mota : Tout a changé dans cette capitale.
Don Juan : Les femmes ?
Mota : Cause entendue.
Don Juan : Inès ?
Mota : Elle part pour Véjel.
Don Juan : Bon endroit pour y vivre celle qui si dame naquit.
Mota : Le temps l'a exilée à Véjel.
Don Juan : Qu'elle y crève. Constance ?
Mota : Elle fait peine à voir, avec son front et ses sourcils pelés. Les Portugais l'appellent vieille, et elle croit entendre belle.
Don Juan : Oui, car en portugais le mot pour désigner la vieille sonne belle à une oreille castillane. Et Théodora ?
Mota : Cet été elle a échappé au mal napolitain par un fleuve sudatoire : elle est depuis si tendre et si fraîche qu'avant-hier elle m'a craché une dent au visage, enrobée de mille autres fleurs.
Don Juan : Julie, celle de la rue du Lumignon ?
Mota : Elle lutte avec ses fards.
Don Juan : Se vend-elle toujours pour de la truite ?
Mota : Maintenant elle se donne en tant que morue.
Don Juan : Le quartier de Chanteraines a-t-il un bon bétail ?
Mota : Rainettes pour la plupart.
Don Juan : Et les deux sœurettes vivent-elles ?
Mota : Et la guenon de Tolu, leur maquerelle de mère qui leur enseigne la doctrine.
Don Juan : Oh ! vieille de Belzébuth !... Comment va l'aînée ?
Mota : Blanche, sans un blanc, elle a un saint pour qui jeûner.
Don Juan : Elle donne maintenant dans l'abstinence ?
Mota : C'est une ferme et sainte femme.
Don Juan : Et l'autre ?
Mota : Son principe est meilleur : elle ne crache sur aucun caillou.
Don Juan : Elle a la vocation du bon maçon...
- Retrouvailles entre Don Juan et son ami le Marquis de la Mota.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte II, p. 95-97
Don Juan : Nous deux, ce soir, nous avons du travail.
Catherinon : On embabouine de nouveau ?
Don Juan : On se surpasse.
Catherinon : Je n'approuve pas. Tu veux, monsieur, qu'un jour nous nous fassions pincer : celui qui vit d'abus sera dupe à son tour et paiera ses péchés en une seule fois.
Don Juan : Deviendrais-tu prédicateur, impertinent ?
Catherinon : La raison fait le courageux.
Don Juan : La peur fait aussi le capon. Celui qui devient domestique doit abdiquer sa volonté. Il doit tout faire et ne rien dire. En servant, tu es comme le joueur : si tu veux gagner vite, fais toujours, car au jeu, qui fait le plus gagne le plus.
- Dialogue de Don Juan et Catherinon, après que ce dernier ait appris que son maître convoite l'amante de son ami, le Marquis de la Mota.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte II, p. 103
Acte III
[modifier]Aminte : Va-t'en ! Mon mari va venir.
Don Juan : Ton mari, c'est moi. Qu'est-ce qui t'étonne ?
Aminte : Depuis quand ?
Don Juan : Depuis maintenant.
Aminte : Qui l'a négocié ?
Don Juan : Mon bonheur.
Aminte : Qui nous a mariés ?
Don Juan : Tes yeux.
Aminte : Par quel pouvoir ?
Don Juan : Par la vue.
- Don Juan après avoir berné Batrice pour passer la nuit de noces avec la promise de ce dernier, Aminte.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte III, p. 143
Don Juan : Va, toi, et regarde à cette porte. Vite, finis-en.
Catherinon : Moi ?
Don Juan : Toi, oui ! Finis-en, bouge tes pieds !
Catherinon : Ma grand-mère, on l'a trouvée morte, pendue comme une grappe, et depuis lors on raconte que son âme est toujours en peine. Ce coup-là ne me plaît guère.
Don Juan : Finis-en.
Catherinon : Monsieur, puisque tu sais que je suis une Catherinette...
Don Juan : Finis-en.
Catherinon : Belle situation !
Don Juan : Tu n'y vas pas ?
Catherinon : Qui a les clefs de la porte ?
Second valet : Elle est fermée au verrou, c'est tout.
Don Juan : Qu'as-tu donc ? Pourquoi n'y vas-tu pas ?
Catherinon : C'est aujourd'hui la fin du malheureux Catherinon ! Eh ! si c'était les femmes dont il força la chair qui venaient se venger de nous deux ?
- Alors que Don Juan s'apprête à souper, on frappe à la porte. Un premier valet va ouvrir et, terrorisé, revient sans être capable de parler.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte III, p. 159-161
Catherinon : Que Dieu soit avec moi ! Saint Panonceau ! Saint Mironton ! Eh ! dis, les morts mangent-ils donc ? Par signes, il répond oui.
Don Juan : Catherinon, assis !
Catherinon : Oh ! non, monsieur, je n'ai déjà que trop soupé.
Don Juan : C'est insensé ! Quelle peur as-tu d'un mort ? Que ferais-tu, si c'était un vivant ? Sotte et roturière crainte !
Catherinon : Soupe avec ton invité, car moi, monsieur, j'ai déjà bien mangé.
Don Juan : Dois-je me fâcher ?
Catherinon : Monsieur, vive Dieu ! je sens mauvais.
Don Juan : Allons, j'attends.
Catherinon : Je crois bien que je suis mort, moi et mon derrière. [...] Jamais je ne voudrais souper avec des gens d'un autre monde. Moi, monsieur, avec un invité de pierre ?
Don Juan : Sotte peur ! S'il est en pierre, que peut-il te faire ?
Catherinon : Me briser le crâne.
Don Juan : Parle-lui poliment !
Catherinon : Ça va bien ? C'est un bon pays, l'autre vie ? C'est la plaine ou c'est la montagne ? [...] On donne des prix de poésie, là-bas ? [...] Là-bas, on trouve beaucoup de tavernes ? Il doit y en avoir, bien sûr, puisque Noé y a sa résidence.
Don Juan : Hola ! Servez-nous à boire.
Catherinon : Monsieur le mort, là-bas, on boit glacé à la neige? (La statue incline la tête.) Alors, il y a de la neige : bon pays. [...] Monsieur le mort ne manque pas de goût. [...] La chaleur de l'été lui coupe l'appétit, ou bien monsieur le mort n'est pas un gros mangeur. Je tremble en m'approchant de cette nourriture. On boit peu par là-bas. (Il boit.) Soit, je boirai pour deux. Par Dieu ! Brinde de pierre, et j'ai déjà moins peur.
- Le nouveau venu est un homme tué par Don Juan, Don Gonzale. Le revenant à l'apparence d'une statue de pierre. Catherinon, terrifié, veut fuir le repas.
- L'Abuseur de Séville / El burlador de Sevilla, Tirso de Molina (trad. Pierre Guenoun), éd. Aubier, 1993 (ISBN 9782700714197), acte III, p. 163-165