Jacques Brault
Jacques Brault (né à Montréal en 1933) est un poète, romancier, dramaturge et essayiste québécois. Professeur d'études françaises à l'Université de Montréal, il contribue à plusieurs publications littéraires et émissions culturelles en sus de sa carrière d'écrivain. Particulièrement apprécié pour sa poésie, son œuvre s'est mérité le Prix du Gouverneur général à quatre reprises, de même que le Prix Athanase-David et le Prix Gilles-Corbeil.
La terre se retourne sur les peuples qui la composent
la terre où j'éprouve du pied ma place
Vieille berceuse où dorment les millénaires vieille
rassembleuse
Terre où s'emmêlent nos racines où nos haines
fraternisent
Terre aux mille sourires des morts réconciliés
Tes bras autour de ta nichée attendent celui qui va
naître à sa mort
Et pour un qui tombe et rentre en sa fin en voici
mille debout et durs comme le désir
- Poèmes choisis (1965-1990), Jacques Brault, éd. du Noroît, 1996, Entre Mars et Vénus, p. 37-38
nous ne partirons pas
cette banquise neurasthénique porte l'espoir
des morts qui ne sont pas nés
si belle soit la terre promise ailleurs en d'autres
mondes
ce n'est pas ici
nous gèlerons sur place comme pères et mères
nous craquerons de froid de folie
nous ne partirons pas
[...]
derniers parmi les derniers plus pauvres que les plus
pauvres
sauvages des musées galaxiques caves des cris
caverneux
nous ne partirons pas
[...]
rien ni personne toi moi ni les autres semblables
tous tentés parfois de partir un peu vers un pays d'en
haut
non
nous ne partirons pas
accrochés aux lambeaux d'inutile éternité
nous refuserons la fin des fins
nous ne partirons pas
nous avons pleuré nous avons sangloté
à la vue de cette terre insolite
et nous rirons ah oui
quand viendra comme un soleil mis au nord
une bonne fois encore
le retournement total
- Poèmes choisis (1965-1990), Jacques Brault, éd. du Noroît, 1996, Patience, p. 55-58
que si tes lèvres tant et tant goûtées devaient se souder
à celles d'un autre si tes doigts s'incrustaient dans
sa poitrine comme en la mienne naguère
si sur un autre visage dévalait ta chevelure bleutée
en tel silence que je connais encore ou si
(par dernière douleur)
se crispaient tes mots muets cherchant le plein-dire
se tenant désarmés devant une mémoire aux abois
si ça devait être ainsi
— je dis si ça devait être
toi au cœur de mon cœur ne fais qu'un signe à
peine
que je puisse aller à lui et prendre ses mains
(comme les tiennes)
et lui murmurer accueille ce bonheur (le mien) tout
entier
- Poèmes choisis (1965-1990), Jacques Brault, éd. du Noroît, 1996, p. 81
ce soir je suis condamné à vivre
à veiller avec la nuit certaine
elle s'en va elle est partie
son pas n'a pas fait de bruit
elle n'est plus là elle n'est pas ici
il n'y a plus que moi un cri
étranglé noir crispé un silence d'hiver en été
- Poèmes choisis (1965-1990), Jacques Brault, éd. du Noroît, 1996, p. 94
Si on me demande par ici
dites que je m'éloigne sur la route
mêlant le sel de neige
au sel de mes larmes
dites aussi qu'un grand froid m'accompagne
- Poèmes choisis (1965-1990), Jacques Brault, éd. du Noroît, 1996, p. 108