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Hubert Védrine

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Hubert Védrine

Hubert Védrine, né le 31 juillet 1947 à Saint-Silvain-Bellegarde (Creuse), est un diplomate et homme politique français membre du Parti socialiste (PS).

Continuer l'Histoire, 2007

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C'est tout cet universalisme occidental à la fois bien pensant, bien intentionné, hégémonique, paternaliste et sûr de lui, bouffi d'irréalisme et embrumé d'« irrealpolitik », qui s'est heurté aux réalités.


En faveur du libre-échange, on met toujours en avant ce que le consommateur y gagne, jamais ce que le citoyen y perd en dépossession démocratique au profit d’une « gouvernance » aussi vague qu’incontrôlable. Sans même parler des ravages écologiques qu’entraîne cette forme de mondialisation qui n’est pas mesurée ni prise en compte en tant que telle.


Les milieux culturel, médiatique et même politique croient, pour leur part, concevoir la planète telle qu'ils voudraient qu'elle soit, sans que la sanction de la réalité n'intervienne jamais. Ils projettent leurs conceptions sur le monde extérieur et peuvent s'abandonner durablement à un narcissisme que le système médiatique encourage et entretient, sans avoir à subir les conséquences de leur idéalisme. Ce sont leurs pays qui en paient le prix.


Paradoxalement, du moins en apparence, certains altermondialistes et certains partisans de la « gouvernance » se rejoignent lorsqu'ils vont jusqu'à caresser l'idée d'un gouvernement mondial. On ne peut que s'étonner qu'un concept qui recèle un potentiel totalitaire aussi évident puisse séduire qui que ce soit dans les rangs de la gauche précisément antitotalitaire ! Quel gouvernement mondial, pour faire quoi, désigné par qui ? Et s'il devenait répressif, sur quelle Lune se réfugieraient ses opposants ?


Le découragement peut saisir devant ces cauchemardesques réunions de copropriétaires qui n’ont pas de fin ! Mais si l’on ne se résigne pas à cette impuissance, et encore moins à « l’hyperempire » hors sol du Marché que Jacques Attali, dans sa Brève Histoire de l’avenir, voit annihiler les États et les démocraties territoriales, il ne faut surtout pas abandonner le système multilatéral, mais le relégitimer, et le rendre plus efficace.


Je pense, comme je l'écrivis avant le référendum de 2005 et plus encore après, que trois clarifications — sur les frontières, sur le pouvoir, sur le projet — sont indispensables, préalablement à toute relance, pour combler le fossé entre élites européistes intégrationnistes et citoyens « normaux », pas du tout anti-européens mais attachés à leur identité et aujourd'hui déboussolés. Faute de quoi cette relance, quelle qu'elle soit, échouera.


Entre l'Empire carolingien, son passé et son héritage chrétien, celui des Lumières et de la Révolution, et finalement la démocratie et les droits de l'homme, l'Europe a du mal à se définir tant elle redoute à présent tout ce qui relève de l'identitaire. Si l'on s'en tient aux critères de Copenhague de 1993, il suffit, pour intégrer l'Union, d'être démocrate, de pratiquer l'économie de marché et de reprendre l'acquis communautaire. À ce compte-là, pourquoi pas le Sénégal, le Japon, l'Inde ou le Brésil ?


Aujourd'hui, beaucoup d'Européens voudraient ne pas descendre de leurs ancêtres et se refaire une histoire idéale. Ou, à défaut, expier et se repentir au nom de leurs aïeux.
Tout cela est absurde et traduit une nation mal dans sa peau, obsédée de régler ses comptes avec elle-même. L'Histoire est ce qu'elle est, nous devons la connaître, l'assumer, la poursuivre en la dépassant, en nous gardant de la posture expiatoire comme de l'auto-encensement. Antidote au catéchisme du devoir de mémoire : l'Histoire. N'en rien occulter. Tout enseigner. Tout transmettre. En tirer des leçons pour l'avenir constamment réactualisées.


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