Aller au contenu

Dino Buzzati

Une page de Wikiquote, le recueil des citations libres.
Dino Buzzati dans les années 1950.

Dino Buzzati Traverso, connu sous le nom de Dino Buzzati, né le 16 octobre 1906 à San Pellegrino di Belluno en Vénétie, mort le 28 janvier 1972 à Milan, est un journaliste (au Corriere della Sera), un peintre et un écrivain italien dont l'œuvre la plus célèbre est le roman intitulé Le Désert des Tartares (Il Deserto dei Tartari, 1945). Sa nouvelle la plus connue est le K.

Le Désert des Tartares (1945)

[modifier]
Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d'être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation.
  • Incipit du roman.
  • (it) Le Désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud (Robert Laffont, 1949)), éd. Pocket, 1994, p. 5


Il me semble que c'était hier que je suis arrivé au fort, disait Drogo.
  • (it) Le Désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud (Robert Laffont, 1949)), éd. Pocket, 1994, p. 74


Drogo, maintenant, pensait aux factionnaires qui, à quelques mètres de lui, marchaient de long en large, tels des automates, sans s'arrêter jamais pour reprendre haleine. Ils étaient des dizaines et des dizaines à être éveillés, ces hommes, tandis que lui était étendu sur son lit, tandis que tout semblait plongé dans le sommeil. Des dizaines et des dizaines, se disait Drogo, mais pour qui, pour quoi ? Dans ce fort, le formalisme militaire semblait avoir créé un chef-d'œuvre insensé. Des centaines d'hommes pour garder un col par lequel ne passerait personne.
  • (it) Le Désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud (Robert Laffont, 1949)), éd. Pocket, 1994, chapitre 5, p. 40-41


Quelle triste erreur, pensa Drogo, peut-être en est-il ainsi de tout, nous nous croyons entourés de créatures semblables à nous et, au lieu de cela, il n'y a que gel, pierres qui parlent une langue étrangère ; on est sur le point de saluer un ami, mais le bras retombe inerte, le sourire s'éteint, parce que l'on s'aperçoit que l'on est complètement seul.
  • (it) Le Désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud (Robert Laffont, 1949)), éd. Pocket, 1994, chapitre 10, p. 88


Cependant, le temps passait, toujours plus rapide; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s'arrêter même un seul instant, même pas pour jeter un coup d'œil en arrière. « Arrête ! Arrête ! » Voudrait-on crier. Mais on se rend compte que c'est inutile. Tout s'enfuit, les hommes, les saisons, les nuages; et il est inutile de s'agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d'un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné par ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s'arrête jamais.
  • (it) Le Désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud (Robert Laffont, 1949)), éd. Pocket, 1994, chapitre 24, p. 222


[...] Drogo s'aperçut à quel point les hommes restent toujours séparés l'un de l'autre malgré l'affection qu'ils peuvent se porter ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en décharger si légèrement que ce soit ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie.
  • (it) Le Désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud (Robert Laffont, 1949)), éd. Pocket, 1994, chapitre 24, p. 223


Mais une question lui vint ensuite à l'esprit : et si tout était une erreur ?
  • (it) Le Désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud (Robert Laffont, 1949)), éd. Pocket, 1994, chapitre 30, p. 266


Des extrêmes confins, il sentait avancer sur lui une ombre progressive et concentrique, c'était peut-être une question d'heures, peut-être de semaines ou de mois ; mais même les semaines et les mois sont une bien pauvre chose quand ils nous séparent de la mort. La vie donc n'avait été qu'une sorte de plaisanterie : pour un orgueilleux pari tout avait été perdu.
  • Le désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud), éd. Robert Laffont, coll. « Pavillons », 1994  (ISBN 2-221-09637-1), p. 228


Effectivement s'avançait contre Giovanni Drogo l'ultime ennemi. Non point des homme semblables à lui, tourmentés comme lui par des déserts et des douleurs, des hommes d'une chair qu'on pouvait blesser, avec des visages que l'on pouvait regarder, mais un être tout-puissant et méchant ; il n'était pas question de combattre sur le sommet des remparts, au milieu des coups de canon et des cris exaltants, sous un ciel printanier tout bleu, il n'y avait pas d'amis à côté de vous dont la vue vous redonne du courage, il n'y avait pas non plus l'âcre odeur de la poudre, ni de fusillades, ni de promesses de gloire. Tout va se passer dans la chambre d'une auberge inconnue, à la lueur d'une chandelle, dans la solitude la plus totale.
  • Le désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud), éd. Robert Laffont, coll. « Pavillons », 1994  (ISBN 2-221-09637-1), p. 229


Courage, Drogo, c'est là ta dernière carte, va en soldat à la rencontre de la mort et que, au moins, ton existence fourvoyée finisse bien. Venge-toi finalement du sort, nul ne chantera tes louanges, nul ne t'appellera héros ou quelque chose de semblable, mais justement pour cela ça vaut la peine. Franchis d'un pied ferme la limite de l'ombre, droit comme pour une parade, et souris même, si tu y parviens. Après tout, ta conscience n'est pas trop lourde et Dieu saura pardonner.
  • Le désert des Tartares, Dino Buzzati (trad. Michel Arnaud), éd. Robert Laffont, coll. « Pavillons », 1994  (ISBN 2-221-09637-1), p. 229/230


Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :