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Baptiste Morizot

Une page de Wikiquote, le recueil des citations libres.

Baptiste Morizot, est un philosophe et enseignant français, né le .

Citations

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Manière d'être vivant, enquêtes sur la vie à travers nous, 2019

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Accepter l'omniprésence des convergences ne nous force donc pas à prendre un point de vue religieux sur l'évolution: on peut tout simplement revendiquer une interprétation strictement matérialiste des convergences (étant entendu que nous ne savons pas ce qu'est la matière: simplement qu'elle n'a pas besoin de l'hypothèse Dieu pour faire des choses prodigieuses). Les convergences sont alors l'expression de contraintes génératives (génétiques, développementales et sélectives).
  • Manière d'être vivant, enquêtes sur la vie à travers nous, Baptiste Morizot, éd. essai BABEL, 2019  (ISBN 978-2-330-16844-5), p. 168-169


L'éthologie du loup noir enseigne néanmoins ce fait discret mais décisif que l'envie de fumer du tabac (mais comme beaucoup d'autres envies addictives) dure, à chaque pic physiologique, entre deux et cinq minutes. Que celui qui est tenté cède ou non à la tentation, l'envie disparaîtra quoi qu'il arrive à l'issue de cette durée. Si le diplomate connaît alors la rythmique de ses pulsions fauves, il lui suffit d'exalter un désir joyeux et concurrent pendant ce si bref laps de temps, sans effort surhumain ni brimade de soi, pour ne pas faire l'expérience de l'impuissance de la volonté. Il suffit souvent, dans la vie, de cinq minutes seulement de courage et de ruse.
  • Manière d'être vivant, enquêtes sur la vie à travers nous, Baptiste Morizot, éd. essai BABEL, 2019  (ISBN 978-2-330-16844-5), p. 194


Il existe en marine la pratique de la navigation négative, elle sert volontiers pour s'orienter dans l'existence. Elle se pratique quand on ne sait pas où l'on est et qu'on ne peut pas le savoir. L'essentiel est alors de savoir où l'on ne doit surtout pas être sur la carte, et de déterminer scrupuleusement sur le papier ce que l'on devrait observer autour de ces lieux de mort. Quels amers : phares, côtes, tour génoise, falaise, archipel, seraient en vue si on était là où on ne doit pas être, au risque d'être drossés sur les récifs, canonnés, embarqués par la marée, échoués sur les hauts-fonds. Ensuite, l'essentiel consiste à se tenir à distance de ces repères: naviguer consiste à ne pas les voir.
  • Manière d'être vivant, enquêtes sur la vie à travers nous, Baptiste Morizot, éd. essai BABEL, 2019  (ISBN 978-2-330-16844-5), p. 238


L'inexploré, 2023

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L'inexploré s'est déplacé de la marge au centre, de la frontière au sol quotidien, car parmi nous, il y a les loups, les lombrics, les microbiotes et les fascinations domestiques, sans avoir à aller au bout du monde, sans avoir à coïncider avec le mythe moderne de l'explorateur comme individu d'élite en révolte absolue contre le monde, sans y chercher l'exutoire de pulsions guerrières ou du désir de pouvoir, du désir d'Ailleurs — et sans le mythe individualiste du dépassement, car cette alter-exploration est plus riche si elle est collective, plus immédiatement politisable, puisqu'elle l'est nécessairement. Ce sont peut-être la curiosité concernée par la subsistance, l'attention à la cohabitation compliquée et la disponibilité au prodige banal qui constituent le fond de l'affect exploratoire dont nous avons besoin aujourd'hui, articulées au sens des interdépendances qui nous lient à ces vivants —puisque nous sommes exposés les uns aux autres. Une part du profil affectif qui m'intéresse ici, c'est par exemple celui de Darwin travaillant près de cinquante ans sur les vers de terre locaux, de 1836 à 1881 (date à laquelle il publie le traité qui leur est consacré, et invente ce faisant une bonne part de l'écologie scientifique) ; et c'est bien le sol terreux du cottage familial, les relations qui le constituent, qui est inexploré, et devient prodigieux. Il faut ajouter à cet affect la politisation de la question des rapport au sol, la culture des luttes pour d'autres relations au vivant, qu'on voit chez les paysans engagés aujourd'hui contre la PC et l'agro-industrie, et voilà notre affect recomposé. Voilà des affects autrement plus mobilisateurs que ceux que véhiculent les imaginaires de la décadence, du délitement ou de l'apocalypse. Car le wonder (cet émerveillement face aux prodiges vivants qui appelle l'enquête) est une "passion cognitive" : il tisse le sentir et le penser, et comme passion, il tisse aussi des affiliations envers ce qu'il explore, ce qui en fait spontanément une passion politique, un mouvement d'engagement pour le vivant et contre ce qui le détruit.
  • L'inexploré, Baptiste Morizot, éd. éditions Wild Project, 2023  (ISBN 978-2-381140-438), p. 86-87


Voilà le paradoxe : depuis , nous cherchons une vie intelligente dans l’univers, alors qu’elle existe sous des formes prodigieuses sut Terre, parmi nous, nous nos yeux, mais discrète d’être muette (elle n’a certes pas de logos), et occultée par le naturalisme, qui a confisqué les invites immatérielles des vivants (interactionnelles, communicatives, éthopolitiques) — en partie pour en justifier le traitement extractiviste. Ce que cela pointe, à mes yeux, c’est bien qu’il est temps d’« atterir » : il est temps d’en finir avec le point de vue de Sirius, les rêves d’expansion qui localisent l’enchantement dans l’espace parce que nous avons dû désenchanter la terre comme tissu vivant prodigieux pour la traiter en réserve de fuel nous propulsant aux étoiles, comme la dernière frontière, celle de l’arrachement à notre animalité, à l’humus fantasmé comme sol arriéré sur lequel prendre pied pour monter indéfiniment, s’élever, atteindre l’au-dessus, l’au-delà — comme si nous n’étions pas de ce monde, vieux mythe moderne. Ce sont les gnostiques cathares, les penseurs les plus radicaux d’un arrière-monde plus vrai que celui-là, qui donnent dans notre tradition la figure la plus pure de ce vecteur pulsionnel des modernes. Les Christopolitains (ceux qui appartiennent à la seule vraie Cité, celle du Christ, la cité céleste) disaient, en pointant la terre tout autour : « Nous ne sommes pas de ce monde » — tombés là par hasard, par faute, par malveillance d’un démon. Les modernes ont hérité de cet imaginaire : ils ne sont pas de ce monde, mais de celui de demain (le progrès aura vaincu l’irrationnel de la tradition), de celui au-delà, de celui plus loin, plus haut, plus émancipé de toute cette matière, de toutes ces limites (le nom moderne de ces liens qui nous tissent aux territoires vivants), donc plus vrai. Il y a dans la modernité une théorie des arrière-mondes qui est une part de toxicité.
  • L'inexploré, Baptiste Morizot, éd. éditions Wild Project, 2023  (ISBN 978-2-381140-438), p. 101-102

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